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CHAPITRE XIII.

bâties, accrues, et embellies par les Romains, subsistaient ; et la réputation de l’Italie tenta toujours un peuple pauvre, inquiet et guerrier. Si Pepin avait pu prendre la Lombardie, comme fit Charlemagne, il l’aurait prise sans doute ; et s’il conclut un traité avec Astolfe, c’est qu’il y fut obligé. Usurpateur de la France, il n’y était pas affermi : il avait à combattre des ducs d’Aquitaine et de Gascogne, dont les droits sur ces pays valaient mieux que les siens sur la France. Comment donc aurait-il donné tant de terres aux papes, quand il était forcé de revenir en France pour y soutenir son usurpation ?

Le titre primordial de cette donation n’a jamais paru ; on est donc réduit à douter. C’est le parti qu’il faut prendre souvent en histoire comme en philosophie. Le saint siège, d’ailleurs, n’a pas besoin de ces titres équivoques ; le temps lui a donné des droits aussi réels sur ses États que les autres souverains de l’Europe en ont sur les leurs. Il est certain que les pontifes de Rome avaient dès lors de grands patrimoines dans plus d’un pays ; que ces patrimoines étaient respectés, qu’ils étaient exempts de tribut, ils en avaient dans les Alpes, en Toscane, à Spolette, dans les Gaules, en Sicile, et jusque dans la Corse, avant que les Arabes se fussent rendus maîtres de cette île, au viiie siècle. Il est à croire que Pépin fit augmenter beaucoup ce patrimoine dans le pays de la Romagne, et qu’on l’appela le patrimoine de l’exarchat. C’est probablement ce mot patrimoine qui fut la source de la méprise. Les auteurs postérieurs supposèrent, dans des temps de ténèbres, que les papes avaient régné dans tous les pays où ils avaient seulement possédé des villes et des territoires.

Si quelque pape, sur la fin du viiie siècle, prétendit être au rang des princes, il paraît que c’est Adrien Ier. La monnaie qui fut frappée en son nom (si cette monnaie fut en effet fabriquée de son temps) fait voir qu’il eut les droits régaliens ; et l’usage qu’il introduisit de se faire baiser les pieds fortifie encore cette conjecture. Cependant il reconnut toujours l’empereur grec pour son souverain. On pouvait très-bien rendre à ce souverain éloigné un vain hommage, et s’attribuer une indépendance réelle, appuyée de l’autorité du ministère ecclésiastique.

Voyez par quels degrés la puissance pontificale de Rome s’est élevée. Ce sont d’abord des pauvres qui instruisent des pauvres dans les souterrains de Rome ; ils sont, au bout de deux siècles, à la tête d’un troupeau considérable. Ils sont riches et respectés sous Constantin ; ils deviennent patriarches de l’Occident ; ils ont d’immenses revenus et des terres ; enfin ils deviennent de grands