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SUR CONSTANTIN ET LE CHRISTIANISME.

minorum gentium. Ils subsistèrent jusqu’à Théodose, et les peuples de la campagne persistèrent longtemps après lui dans leur ancien culte. C’est ce qui fit donner aux sectateurs de l’ancienne religion le nom de païens, pagani, du nom des bourgades appelées pagi dans lesquelles on laissa subsister l’idolâtrie jusqu’au viiie siècle ; de sorte que le nom de païen ne signifie que paysan, villageois.

On sait assez sur quelle imposture est fondée la donation de Constantin ; mais cette pièce est aussi rare que curieuse. Il est utile de la transcrire ici pour faire connaître l’excès de l’absurde insolence de ceux qui gouvernaient les peuples, et l’excès de l’imbécillité des gouvernés. C’est Constantin qui parle[1] :

« Nous, avec nos satrapes et tout le sénat, et le peuple soumis au glorieux empire, nous avons jugé utile de donner au successeur du prince des apôtres une plus grande puissance que celle que notre sérénité et notre mansuétude ont sur la terre. Nous avons résolu de faire honorer la sacro-sainte Église romaine plus que notre puissance impériale, qui n’est que terrestre ; et nous attribuons au sacré siège du bienheureux Pierre toute la dignité, toute la gloire, et toute la puissance impériale. Nous possédons les corps glorieux de saint Pierre et de saint Paul, et nous les avons honorablement mis dans des caisses d’ambre, que la force des quatre éléments ne peut casser. Nous avons donné plusieurs grandes possessions en Judée, en Grèce, dans l’Asie, dans l’Afrique, et dans l’Italie, pour fournir aux frais de leurs luminaires. Nous donnons, en outre, à Silvestre et à ses successeurs notre palais de Latran, qui est plus beau que tous les autres palais du monde.

« Nous lui donnons notre diadème, notre couronne, notre mitre, tous les habits impériaux que nous portons, et nous lui remettons la dignité impériale, et le commandement de la cavalerie. Nous voulons que les révérendissimes clercs de la sacro-sainte romaine Église jouissent de tous les droits du sénat. Nous les créons tous patrices et consuls. Nous voulons que leurs chevaux soient toujours ornés de caparaçons blancs, et que nos principaux officiers tiennent ces chevaux par la bride, comme nous avons conduit nous-même par la bride le cheval du sacré pontife.

« Nous donnons en pur don au bienheureux pontife la ville de Rome et toutes les villes occidentales de l’Italie, comme aussi

  1. Voyez l’ouvrage connu sous le titre de Décret de Gratien, où cette pièce est insérée. Ce décret est une compilation faite par Gratien, bénédictin du xiie siècle. (Note ajoutée dans l’édition de Kehl.)