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DE L’ARABIE, ET DE MAHOMET.

depuis. De tous les législateurs qui ont fondé des religions, il est le seul qui ait étendu la sienne par les conquêtes. D’autres peuples ont porté leur culte avec le fer et le feu chez des nations étrangères ; mais nul fondateur de secte n’avait été conquérant. Ce privilège unique est aux yeux des musulmans l’argument le plus fort que la Divinité prit soin elle-même de seconder leur prophète.

Enfin Mahomet, maître de l’Arabie, et redoutable à tous ses voisins, attaqué d’une maladie mortelle à Médine, à l’âge de soixante-trois ans et demi[1], voulut que ses derniers moments parussent ceux d’un héros et d’un juste : « Que celui à qui j’ai fait violence et injustice paraisse, s’écria-t-il, et je suis prêt à lui faire réparation. » Un homme se leva, qui lui redemanda quelque argent ; Mahomet le lui fit donner, et expira peu de temps après, regardé comme un grand homme par ceux même qui le connaissaient pour un imposteur, et révéré comme un prophète par tout le reste.

Ce n’était pas sans doute un ignorant, comme quelques-uns l’ont prétendu. Il fallait bien même qu’il fût très-savant pour sa nation et pour son temps, puisqu’on a de lui quelques aphorismes de médecine, et qu’il réforma le calendrier des Arabes, comme César celui des Romains. Il se donne, à la vérité, le titre de prophète non lettré ; mais on peut savoir écrire, et ne pas s’arroger le nom de savant. Il était poëte ; la plupart des derniers versets de ses chapitres sont rimés ; le reste est en prose cadencée. La poésie ne servit pas peu à rendre son Alcoran respectable. Les Arabes faisaient un très-grand cas de la poésie ; et lorsqu’il y avait un bon poète dans une tribu, les autres tribus envoyaient une ambassade de félicitation à celle qui avait produit un auteur, qu’on regardait comme inspiré et comme utile. On affichait les meilleures poésies dans le temple de la Mecque ; et quand on y afficha le second chapitre de Mahomet, qui commence ainsi : « Il ne faut point douter ; c’est ici la science des justes, de ceux qui croient aux mystères, qui prient quand il le faut, qui donnent avec générosité, etc. », alors le premier poète de la Mecque, nommé Abid[2] déchira ses propres vers affichés au temple, admira Mahomet, et se rangea sous sa loi[3]. Voilà des mœurs, des usages, des faits si différents de tout ce qui se passe

  1. Le 13e jour de raby 1er de la xie année de l’hégire (8 juin 632).
  2. Ou plutôt Lébid. (G. A.)
  3. Lisez le commencement du Koran ; il est sublime. (Note de Voltaire.)