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CHAPITRE II.

métaphysique ; mais ne croire absolument aucun dieu, ce serait une erreur affreuse en morale, une erreur incompatible avec un gouvernement sage. C’est une contradiction digne de nous de s’élever avec fureur, comme on a fait, contre Bayle, sur ce qu’il croit possible qu’une société d’athées subsiste[1] ; et de crier, avec la même violence, que le plus sage empire de l’univers est fondé sur l’athéisme.

Le P. Fouquet, jésuite, qui avait passé vingt-cinq ans à la Chine, et qui en revint ennemi des jésuites, m’a dit plusieurs fois qu’il y avait à la Chine très-peu de philosophes athées. Il en est de même parmi nous.

On prétend que, vers le VIIIe siècle, avant Charlemagne, la religion chrétienne était connue à la Chine. On assure que nos missionnaires ont trouvé dans la province de Kingt-ching ou Quen-sin une inscription en caractères syriaques et chinois. Ce monument, qu’on voit tout au long dans Kircher, atteste qu’un saint homme, nommé Olopuën[2], conduit par des nuées bleues, et observant la règle des vents, vint de Tacin à la Chine, l’an 1092 de l’ère des Séleucides, qui répond à l’an 636 de notre ère ; qu’aussitôt qu’il fut arrivé au faubourg de la ville impériale, l’empereur envoya un colao au-devant de lui, et lui fit bâtir une église chrétienne.

Il est évident, par l’inscription même, que c’est une de ces fraudes pieuses qu’on s’est toujours trop aisément permises. Le sage Navarrète en convient. Ce pays de Tacin, cette ère des Séleucides, ce nom d’Olopuën, qui est, dit-on, chinois, et qui ressemble à un ancien nom espagnol, ces nuées bleues qui servent de guides, cette église chrétienne bâtie tout d’un coup à Pékin pour un prêtre de Palestine, qui ne pouvait mettre le pied à la Chine sans encourir la peine de mort, tout cela fait voir le ridicule de la supposition. Ceux qui s’efforcent de la soutenir ne font pas réflexion que les prêtres dont on trouve les noms dans ce prétendu monument étaient des nestoriens, et qu’ainsi ils ne combattent que pour des hérétiques[3].

  1. Bayle, Pensées diverses écrites à un docteur de Sorbonne à l’occasion de la comète qui parut au mois de décembre 1680. — Il y est dit qu’une société d’athées pratiquerait les actions civiles et morales aussi bien que les pratiquent les autres sociétés, pourvu qu’elle fît sévèrement punir les crimes et qu’elle attachât de l’honneur et de l’infamie à certaines choses. (G. A.)
  2. Voltaire reparle d’Olopuën dans la quatrième de ses Lettres chinoises, etc. (Voyez Mélanges, année 1770.) Une critique de l’opinion de Voltaire sur Olopuën se lit dans le Journal des savants, octobre 1821.
  3. Voyez le Dictionnaire philosophique, au mot Chine. (Note de Voltaire.)