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RELIGION DE LA CHINE.

les honneurs, non pas les honneurs divins, qu’on ne doit à aucun homme, mais ceux que mérite un homme qui a donné de la Divinité les idées les plus saines que puisse former l’esprit humain. C’est pourquoi le P. Le Comte[1] et d’autres missionnaires ont écrit « que les Chinois ont connu le vrai Dieu, quand les autres peuples étaient idolâtres, et qu’ils lui ont sacrifié dans le plus ancien temple de l’univers ».

Les reproches d’athéisme, dont on charge si libéralement dans notre Occident quiconque ne pense pas comme nous, ont été prodigués aux Chinois. Il faut être aussi inconsidérés que nous le sommes dans toutes nos disputes pour avoir osé traiter d’athée un gouvernement dont presque tous les édits parlent[2] « d’un être suprême, père des peuples, récompensant et punissant avec justice, qui a mis entre l’homme et lui une correspondance de prières et de bienfaits, de fautes et de châtiments ».

Le parti opposé aux jésuites a toujours prétendu que le gouvernement de la Chine était athée, parce que les jésuites en étaient favorisés ; mais il faut que cette rage de parti se taise devant le testament de l’empereur Kang-hi. Le voici :

« Je suis âgé de soixante et dix ans ; j’en ai régné soixante et un ; je dois cette faveur à la protection du ciel, de la terre, de mes ancêtres, et au dieu de toutes les récoltes de l’empire : je ne puis l’attribuer à ma faible vertu. »

Il est vrai que leur religion n’admet point de peines et de récompenses éternelles ; et c’est ce qui fait voir combien cette religion est ancienne. Le Pentateuque ne parle point de l’autre vie dans ses lois : les saducéens, chez les Juifs, ne la crurent jamais.

On a cru que les lettrés chinois n’avaient pas une idée distincte d’un Dieu immatériel ; mais il est injuste d’inférer de là qu’ils sont athées. Les anciens Égyptiens, ces peuples si religieux, n’adoraient pas Isis et Osiris comme de purs esprits. Tous les dieux de l’antiquité étaient adorés sous une forme humaine ; et ce qui montre bien à quel point les hommes sont injustes, c’est que chez les Grecs on flétrissait du nom d’athées ceux qui n’admettaient pas ces dieux corporels, et qui adoraient dans la Divinité une nature inconnue, invisible, inaccessible à nos sens.

  1. Louis Le Comte, jésuite, alla à Pékin on 1688. On a de lui : Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine, 1696, 3 vol. ; et une Lettre à M. le duc du Maine sur les cérémonies de la Chine ; deux ouvrages condamnés à Rome en 1702. (G. A.)
  2. Voyez l’édit de l’empereur Yontchin, rapporté dans les Mémoires de la Chine, rédigés par le jésuite du Halde. Voyez aussi le poëme de l’empereur Kienlong. (Note de Voltaire.)