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QUI ÉCRIVIRENT L’HISTOIRE.

d’être attaqués par les Vénètes, partirent de Rome chargés de butin, après avoir fait la paix avec les Romains. À qui croirons-nous, de Tite-Live ou de Polybe ? au moins nous douterons.

Ne douterons-nous pas encore du supplice de Régulus, qu’on fait enfermer dans un coffre armé en dedans de pointes de fer ? Ce genre de mort est assurément unique. Comment ce même Polybe, presque contemporain, Polybe, qui était sur les lieux, qui a écrit si supérieurement la guerre de Rome et de Carthage, aurait-il passé sous silence un fait aussi extraordinaire, aussi important, et qui aurait si bien justifié la mauvaise foi des Romains envers les Carthaginois ? Comment ce peuple aurait-il osé violer d’une manière aussi barbare le droit des gens avec Régulus, dans le temps que les Romains avaient entre leurs mains plusieurs principaux citoyens de Carthage, sur lesquels ils auraient pu se venger ?

Enfin Diodore de Sicile rapporte, dans un de ses fragments, que les enfants de Régulus ayant fort maltraité des prisonniers carthaginois, le sénat romain les réprimanda, et fit valoir le droit des gens. N’aurait-il pas permis une juste vengeance aux fils de Régulus, si leur père avait été assassiné à Carthage ? L’histoire du supplice de Régulus s’établit avec le temps, la haine contre Carthage lui donna cours ; Horace la chanta, et on n’en douta plus.

Si nous jetons les yeux sur les premiers temps de notre histoire de France, tout en est peut-être aussi faux qu’obscur et dégoûtant ; du moins il est bien difficile de croire l’aventure de Childéric et d’une Razine, femme d’un Razin, et d’un capitaine romain, élu roi des Francs, qui n’avaient point encore de rois[1].

Grégoire de Tours est notre Hérodote, à cela près que le Tourangeau est moins amusant, moins élégant, que le Grec. Les moines qui écrivirent après Grégoire furent-ils plus éclairés et plus véridiques ? ne prodiguèrent-ils pas quelquefois des louanges un peu outrées à des assassins qui leur avaient donné des terres ? ne chargèrent-ils jamais d’opprobres des princes sages qui ne leur avaient rien donné ?

Je sais bien que les Francs qui envahirent la Gaule furent

  1. Voyez dans le livre VII, tome Ier de l’Histoire de France, par M. Henri Martin, l’aventure galante de Hilderik et de Basine, d’après Grégoire de Tours, ainsi qu’au livre VI, l’explication du prétendu choix d’Ægidius pour roi des Saliens. — Voyez aussi Chateaubriand, et la troisième des Lettres sur l’histoire de France d’Augustin Thierry.