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DES ANGES, GÉNIES, DIABLES, ETC.,

d’erreurs. Ils s’animèrent entre eux ; ils se dirent : Choisissons-nous des femmes parmi les filles des hommes de la terre. Semiaxas leur prince dit : Je crains que vous n’osiez pas accomplir un tel dessein, et que je ne demeure seul chargé du crime ; tous répondirent : Faisons serment d’exécuter notre dessein, et dévouons-nous à l’anathème si nous y manquons. Ils s’unirent donc par serment, et firent des imprécations. Ils étaient deux cents en nombre. Ils partirent ensemble du temps de Jared, et allèrent sur la montagne appelée Hermonim, à cause de leur serment. Voici le nom des principaux : Semiaxas, Atarculph, Araciel, Chobabiel-Hosampsich, Zaciel-Parmar, Thausaël, Samiel, Tirel, Sumiel[1]. »

« Eux et les autres prirent des femmes, l’an onze cent soixante et dix de la création du monde. De ce commerce naquirent trois genres d’hommes, les géants Naphilim, etc. »

L’auteur de ce fragment écrit de ce style qui semble appartenir aux premiers temps ; c’est la même naïveté. Il ne manque pas de nommer les personnages ; il n’oublie pas les dates ; point de réflexions, point de maximes, c’est l’ancienne manière orientale.

On voit que cette histoire est fondée sur le sixième chapitre de la Genèse : « Or en ce temps il y avait des géants sur la terre ; car les enfants de Dieu ayant eu commerce avec les filles des hommes, elles enfantèrent les puissants du siècle. »

Le livre d’Énoch et la Genèse sont entièrement d’accord sur l’accouplement des anges avec les filles des hommes, et sur la race des géants qui en naquit. Mais ni cet Énoch ni aucun livre de l’Ancien Testament ne parle de la guerre des anges contre Dieu, ni de leur défaite, ni de leur chute dans l’enfer, ni de leur haine contre le genre humain.

Il n’est question des esprits malins et du diable que dans l’allégorie de Job, dont nous avons parlé, laquelle n’est pas un livre juif, et dans l’aventure de Tobie. Le diable Asmodée, ou Shammadey, qui étrangla les sept premiers maris de Sara, et que Raphaël fit déloger avec la fumée du foie d’un poisson, n’était point un diable juif, mais persan. Raphaël l’alla enchaîner dans la haute Égypte ; mais il est constant que les Juifs n’ayant point d’enfer, ils n’avaient point de diables. Ils ne commencèrent que fort tard à croire l’immortalité de l’âme et un enfer, et ce fut quand la secte des pharisiens prévalut. Ils étaient donc bien éloignés de penser que le serpent qui tenta Ève fût un diable, un ange précipité dans l’enfer. Cette pierre, qui sert de fondement à tout l’édifice, ne fut

  1. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, les articles Ange et Bekker.