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DES PRÉJUGÉS POPULAIRES.

Personne ne savait ce que c’est que l’arc-en-ciel ; il était regardé comme une chose surnaturelle ; et Homère en parle toujours ainsi. L’Écriture l’appelle l’arc de Dieu, le signe d’alliance.

Parmi beaucoup d’erreurs auxquelles le genre humain a été livré, on croyait qu’on pouvait faire naître des animaux de la couleur qu’on voulait, en présentant cette couleur aux mères avant qu’elles conçussent : l’auteur de la Genèse dit que Jacob eut des brebis tachetées par cet artifice.

Toute l’antiquité se servait des charmes contre la morsure des serpents ; et quand la plaie n’était pas mortelle, ou qu’elle était heureusement sucée par des charlatans nommés Psylles[1] ou qu’enfin on avait appliqué avec succès des topiques convenables, on ne doutait pas que les charmes n’eussent opéré. Moïse éleva un serpent d’airain dont la vue guérissait ceux que les serpents avaient mordus. Dieu changeait une erreur populaire en une vérité nouvelle.

Une des plus anciennes erreurs était l’opinion que l’on pouvait faire naître des abeilles d’un cadavre pourri. Cette idée était fondée sur l’expérience journalière de voir des mouches et des vermisseaux couvrir les corps des animaux. De cette expérience, qui trompait les yeux, toute l’antiquité avait conclu que la corruption est le principe de la génération. Puisqu’on croyait qu’un corps mort produisait des mouches, on se figurait que le moyen sûr de se procurer des abeilles était de préparer les peaux sanglantes des animaux de la manière requise pour opérer cette métamorphose. On ne faisait pas réflexion combien les abeilles ont d’aversion pour toute chair corrompue, combien toute infection leur est contraire. La méthode de faire naître ainsi des abeilles ne pouvait réussir ; mais on croyait que c’était faute de s’y bien prendre. Virgile, dans son quatrième chant des Géorgiques, dit que cette opération fut heureusement faite par Aristée ; mais aussi il ajoute que c’est un miracle, mirabile monstrum (Géorg., livre IV, v. 554).

C’est en rectifiant cet antique préjugé qu’il est rapporté que Samson trouva un essaim d’abeilles dans la gueule d’un lion qu’il avait déchiré de ses mains.

C’était encore une opinion vulgaire que l’aspic se bouchait les oreilles, de peur d’entendre la voix de l’enchanteur. Le Psalmiste se prête à cette erreur en disant, psaume lvii : « Tel que l’aspic sourd qui bouche ses oreilles, et qui n’entend point les enchanteurs. »

  1. Plutarque, Vie de Caton, chapitre lxxiv.