Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
DE JOSÈPHE, HISTORIEN DES JUIFS.

Quoi qu’il en soit, selon Flavien Josèphe, Darius, qui était un prince de beaucoup d’esprit, proposa à toute sa cour une question digne du Mercure galant, savoir : qui avait le plus de force, ou du vin, ou des rois, ou des femmes. Celui qui répondrait le mieux devait, pour récompense, avoir une tiare de lin, une robe de pourpre, un collier d’or, boire dans une coupe d’or, coucher dans un lit d’or, se promener dans un chariot d’or traîné par des chevaux enharnachés d’or, et avoir des patentes de cousin du roi.

Darius s’assit sur son trône d’or pour écouter les réponses de son académie de beaux esprits. L’un disserta en faveur du vin, l’autre fut pour les rois ; Zorobabel prit le parti des femmes. Il n’y a rien de si puissant qu’elles ; car j’ai vu, dit-il, Apamée, la maîtresse du roi mon seigneur, donner de petits soufflets sur les joues de Sa sacrée Majesté, et lui ôter son turban pour s’en coiffer.

Darius trouva la réponse de Zorobabel si comique que, sur-le-champ, il fit rebâtir le temple de Jérusalem.

Ce conte ressemble assez à celui qu’un de nos plus ingénieux académiciens a fait de Soliman, et d’un nez retroussé, lequel a servi de canevas à un fort joli opéra bouffon. Mais nous sommes contraint d’avouer que l’auteur du nez retroussé n’a eu ni lit d’or, ni Carrosse d’or, et que le roi de France ne l’a point appelé mon cousin : nous ne sommes plus au temps des Darius.

Ces rêveries dont Josèphe surchargeait les livres saints firent tort sans doute, chez les païens, aux vérités que la Bible contient. Les Romains ne pouvaient distinguer ce qui avait été puisé dans une source impure de ce que Josèphe avait tiré d’une source sacrée. Cette Bible, sacrée pour nous, était ou inconnue aux Romains, ou aussi méprisée d’eux que Josèphe lui-même. Tout fut également l’objet des railleries et du profond dédain que les lecteurs conçurent pour l’histoire juive. Les apparitions des anges aux patriarches, le passage de la mer Rouge, les dix plaies d’Égypte ; l’inconcevable multiplication du peuple juif en si peu de temps, et dans un aussi petit terrain ; le soleil et la lune s’arrêtant en plein midi, pour donner le temps à ce peuple brigand de massacrer quelques paysans déjà exterminés par une pluie de pierres : tous les prodiges qui signalèrent cette nation ignorée furent traités avec ce mépris qu’un peuple vainqueur de tant de nations, un peuple-roi, mais à qui Dieu s’était caché, avait naturellement pour un petit peuple barbare réduit en esclavage.