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DES MIRACLES.

On dit que c’est pour faire plaisir à une nation, à une ville, à une famille, que l’Être éternel ressuscite Pélops, Hippolyte, Hérès, et quelques autres fameux personnages ; mais il ne paraît pas vraisemblable que le maître commun de l’univers oublie le soin de l’univers en faveur de cet Hippolyte et de ce Pélops.

Plus les miracles sont incroyables, selon les faibles lumières de notre esprit, plus ils ont été crus. Chaque peuple eut tant de prodiges, qu’ils devinrent des choses très-ordinaires. Aussi ne s’avisait-on pas de nier ceux de ses voisins. Les Grecs disaient aux Égyptiens, aux nations asiatiques : « Les dieux vous ont parlé quelquefois, ils nous parlent tous les jours ; s’ils ont combattu vingt fois pour vous, ils se sont mis quarante fois à la tête de nos armées ; si vous avez des métamorphoses, nous en avons cent fois plus que vous ; si vos animaux parlent, les nôtres ont fait de très-beaux discours. » Il n’y a pas même jusqu’aux Romains chez qui les bêtes n’aient pris la parole pour prédire l’avenir. Tite-Live rapporte qu’un bœuf s’écria en plein marché : Rome, prends garde à toi. Pline, dans son livre huitième, dit qu’un chien parla, lorsque Tarquin fut chassé du trône. Une corneille, si l’on en croit Suétone, s’écria dans le Capitole, lorsqu’on allait assassiner Domitien : Ἔσται πάντα καλῶς ; c’est fort bien fait, tout est bien. C’est ainsi qu’un des chevaux d’Achille, nommé Xante, prédit à son maître qu’il mourra devant Troie. Avant le cheval d’Achille, le bélier de Phryxus avait parlé, aussi bien que les vaches du mont Olympe. Ainsi, au lieu de réfuter les fables, on enchérissait sur elles : on faisait comme ce praticien à qui on produisait une fausse obligation ; il ne s’amusa point à plaider : il produisit sur-le-champ une fausse quittance.

Il est vrai que nous ne voyons guère de morts ressuscités chez les Romains ; ils s’en tenaient à des guérisons miraculeuses. Les Grecs, plus attachés à la métempsycose, eurent beaucoup de résurrections. Ils tenaient ce secret des Orientaux, de qui toutes les sciences et les superstitions étaient venues.

De toutes les guérisons miraculeuses, les plus attestées, les plus authentiques, sont celles de cet aveugle à qui l’empereur Vespasien rendit la vue, et de ce paralytique auquel il rendit l’usage de ses membres. C’est dans Alexandrie que ce double miracle s’opère ; c’est devant un peuple innombrable, devant des Romains, des Grecs, des Égyptiens ; c’est sur son tribunal que Vespasien opère ces prodiges. Ce n’est pas lui qui cherche à se faire valoir par des prestiges dont un monarque affermi n’a pas