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DES SIBYLLES CHEZ LES GRECS.

L’Église chrétienne était alors partagée en société judaïsante et société non judaïsante. Ces deux sociétés étaient divisées en plusieurs autres. Quiconque se sentait un peu de talent écrivait pour son parti. Il y eut plus de cinquante évangiles jusqu’au concile de Nicée ; il ne nous en reste aujourd’hui que ceux de la Vierge, de Jacques, de l’Enfance, et de Nicodème. On forgea surtout des vers attribués aux anciennes sibylles. Tel était le respect du peuple sur ces oracles sibyllins qu’on crut avoir besoin de cet appui étranger pour fortifier le christianisme naissant. Non-seulement on lit des vers grecs sibyllins qui annonçaient Jésus-Christ, mais on les fit en acrostiches, de manière que les lettres de ces mots, Jesous Chreistos ïos Soter, étaient l’une après l’autre le commencement de chaque vers. C’est dans ces poésies qu’on trouve cette prédiction :

Avec cinq pains et deux poissons
Il nourrira cinq mille hommes au désert ;
Et, en ramassant les morceaux qui resteront,
Il en remplira douze paniers.

On ne s’en tint pas là ; on imagina qu’on pouvait détourner, en faveur du christianisme, le sens des vers de la quatrième églogue de Virgile (vers 4 et 7) :

Ultima cumæi venit jam carminis ætas :...
Jam nova progenies cœlo demittitur alto.


Les temps de la sibylle enfin sont arrivés ;
Un nouveau rejeton descend du haut des cieux.

Cette opinion eut un si grand cours dans les premiers siècles de l’Église que l’empereur Constantin la soutint hautement. Quand un empereur parlait, il avait sûrement raison. Virgile passa longtemps pour un prophète. Enfin on était si persuadé des oracles des sibylles que nous avons dans une de nos hymnes, qui n’est pas fort ancienne, ces deux vers remarquables :

Solvet saeclum in favilla,
Teste David cum sibylla.


Il mettra l’univers en cendres,
Témoin la sibylle et David.

Parmi les prédictions attribuées aux sibylles, on faisait surtout valoir le règne de mille ans, que les pères de l’Église adoptèrent jusqu’au temps de Théodose II.