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Le lendemain mêmes enchantements,
Mêmes festins, pareille sérénade ;
Et le plaisir fut un peu moins piquant.
Le lendemain lui parut un peu fade ;
Le lendemain fut triste et fatigant :
Le lendemain lui fut insupportable.
Je me souviens du temps trop peu durable
Où je chantais, dans mon heureux printemps,
Des lendemains plus doux et plus plaisants[1].
La belle enfin chaque jour festoyée
Fut tellement de sa gloire ennuyée,
Que, détestant cet excès de bonheur,
Le paradis lui faisait mal au cœur.
Se trouvant seule, elle avise une brèche
À certain mur ; et, semblable à la flèche
Qu’on voit partir de la corde d’un arc,
Madame saute, et vous franchit le parc.
Au même instant palais, jardins, fontaines,
Or, diamants, émeraudes, rubis,
Tout disparaît à ses yeux ébaubis ;
Elle ne voit que les stériles plaines
D’un grand désert, et des rochers affreux :
La dame alors, s’arrachant les cheveux,
Demande à Dieu pardon de ses sottises.
La nuit venait, et déjà ses mains grises
Sur la nature étendaient ses rideaux.
Les cris perçants des funèbres oiseaux,
Les hurlements des ours et des panthères,
Font retentir les antres solitaires.
Quelle autre fée, hélas ! prendra le soin
De secourir ma folle aventurière !
Dans sa détresse elle aperçut de loin,
À la faveur d’un reste de lumière,
Au coin d’un bois, un vilain charbonnier,
Qui s’en allait par un petit sentier,
Tout en sifflant, retrouver sa chaumière.
« Qui que tu sois, lui dit la beauté fière.
Vois en pitié le malheur qui me suit ;
Car je ne sais où coucher cette nuit. »

  1. Allusion aux lendemains du septième chant de la Pucelle ; voyez tome IX, page 128.