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        Nés de l’enfer, hélas ! rentrez-y tous.
        L’art contre moi mit tant de vraisemblance
        Que mon amant put même s’y tromper ;
        Et l’imposture accabla l’innocence.
            Dispensez-moi de vous développer
        Le noir tissu de sa trame secrète ;
        Mon tendre cœur ne peut s’en occuper,
        Il est trop plein de l’amant qu’il regrette.
        À la déesse en vain j’eus mon recours,
        Tout me trahit ; je me vis condamnée
        À terminer mes maux et mes beaux jours
        Dans cette mer où Vénus était née.
            On me menait au lieu de mon trépas :
        Un peuple entier mouillait de pleurs mes pas,
        Et me plaignait d’une plainte inutile,
        Quand je reçus un billet de Bathyle ;
        Fatal écrit qui changeait tout mon sort !
        Trop cher écrit, plus cruel que la mort !
        Je crus tomber dans la nuit éternelle
        Quand je l’ouvris, quand j’aperçus ces mots :
        « Je meurs pour vous, fussiez-vous infidèle. »
        C’en était fait : mon amant dans les flots
        S’était jeté pour me sauver la vie.
        On l’admirait en poussant des sanglots.
        Je t’implorais, ô mort, ma seule envie,
        Mon seul devoir ! On eut la cruauté
        De m’arrêter lorsque j’allais le suivre ;
        On m’observa : j’eus le malheur de vivre ;
        De l’imposteur la sombre iniquité
        Fut mise au jour, et trop tard découverte.
        Du talion il a subi la loi ;
        Son châtiment répare-t-il ma perte ?
        Le beau Bathyle est mort, et c’est pour moi !
            Je viens à vous, ô juges favorables !
        Que mes soupirs, que mes funèbres soins,
        Touchent vos cœurs ; que j’obtienne du moins
        Un appareil à des maux incurables.
        À mon amant dans la nuit du trépas
        Donnez le prix que ce trépas mérite ;
        Qu’il se console aux rives du Cocyte,
        Quand sa moitié ne se console pas ;
        Que cette main qui tremble et qui succombe,