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        Que le berceau de la mère d’Amour
        Par les Plaisirs fut apporté sur l’onde ;
        Elle y naquit pour le bonheur du monde,
        À ce qu’on dit, mais non pas pour le mien.
        Son culte aimable et sa loi douce et pure
        À ses sujets n’avaient fait que du bien,
        Tant que sa loi fut celle de nature.
        Le rigorisme a souillé ses autels ;
        Les dieux sont bons, les prêtres sont cruels.
        Les novateurs ont voulu qu’une belle
        Qui par malheur deviendrait infidèle
        Allât finir ses jours au fond de l’eau
        Où la déesse avait eu son berceau,
        Si quelque amant ne se noyait pour elle.
        Pouvait-on faire une loi si cruelle ?
        Hélas ! faut-il le frein du châtiment
        Aux cœurs bien nés pour aimer constamment ?
        Et si jamais, à la faiblesse en proie,
        Quelque beauté vient à changer d’amant,
        C’est un grand mal ; mais faut-il qu’on la noie ?
            Tendre Vénus, vous qui fîtes ma joie
        Et mon malheur ; vous qu’avec tant de soin
        J’avais servie avec le beau Bathyle,
        D’un cœur si droit, d’un esprit si docile ;
        Vous le savez, je vous prends à témoin
        Comme j’aimais, et si j’avais besoin
        Que mon amour fût nourri par la crainte.
        Des plus beaux nœuds la pure et douce étreinte
        Faisait un cœur de nos cœurs amoureux.
            Bathyle et moi nous respirions ces feux
        Dont autrefois a brûlé la déesse.
        L’astre des cieux, en commençant son cours,
        En l’achevant, contemplait nos amours ;
        La nuit savait quelle était ma tendresse.
            Arénorax, homme indigne d’aimer,
        Au regard sombre, au front triste, au cœur traître,
        D’amour pour moi parut s’envenimer,
        Non s’attendrir : il le fit bien connaître.
        Né pour haïr, il ne fut que jaloux.
        Il distilla les poisons de l’envie ;
        Il fit parler la noire calomnie.
        Ô délateurs ! monstres de ma patrie,