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Ces serpents odieux de la littérature,
Abreuvés de poisons et rampant dans l’ordure,
Sont toujours écrasés sous les pieds des passants.
Vive le cygne heureux qui, par ses doux accents,
Célébra les saisons, leurs dons, et leurs usages,
Les travaux, les vertus, et les plaisirs des sages !
Vainement de Dijon l’impudent écolier[1]
Coassa contre lui du fond de son bourbier.
Nous laissons le champ libre à ces petits critiques,
De l’ivrogne Fréron disciples faméliques,
Qui, ne pouvant apprendre un honnête métier,
Devers Saint-Innocent vont salir du papier,
Et sur les dons des dieux porter leurs mains impies ;
Animaux malfaisants, semblables aux harpies,
De leurs ongles crochus et de leur souffle affreux
Gâtant un bon dîner qui n’était pas pour eux.



  1. Un nommé Clément, jeune homme, fils d’un procureur de Dijon, et ci-devant maître de quartier dans une pension, a fait un livre entier contre M. de Saint-Lambert, M. Delille, M. Dorat, M. Watelet, et M. Lemierre. Ce jeune homme s’est avisé de dicter des arrêts du haut d’un tribunal qu’il s’est érigé. Il commence par prononcer qu’il ne faut point traduire Virgile en vers ; et ensuite il décide que M. Delille a fort mal traduit les Géorgiques. Sa traduction est pourtant, de l’aveu de tous les connaisseurs, la meilleure qui ait été faite dans aucune langue, et il y en a eu quatre éditions en deux ans. Ce Clément, sans respect pour le public, décide d’un ton de maître que tel vers est ridicule, tel autre plat, tel autre grossier, sans alléguer la plus faible raison. Il ressemble à ces juges qui ne motivent jamais leurs arrêts.

    Nous ne connaissons point ce critique, nous ne connaissons point M. Delille ; mais nous remercions M. Delille du plaisir qu’il nous a fait. Nous avouons qu’il a égalé Virgile en plusieurs endroits, et qu’il a vaincu les plus grandes difficultés. Nous osons dire qu’il a rendu un signalé service à la langue française, et Clément n’en a rendu qu’à l’envie.


    Il attaque avec plus d’orgueil encore l’estimable poëme des Saisons, de M. de Saint-Lambert. Mais quel chef-d’œuvre avait fait ce Clément pour être en droit de condamner si fièrement ? à quels bons ouvrages avait-il donné la vie, pour être en droit de porter ainsi des arrêts de mort ? il avait lu une tragédie de sa façon aux comédiens de Paris, qui ne purent en écouter que deux actes. Le pauvre diable, mourant de honte et de faim, se fit satirique pour avoir du pain. Vous trouverez dans l’histoire du Pauvre Diable la véritable histoire de tous ces petits écoliers qui, ne pouvant rien faire, se mettent à juger ce que les autres font. (Note de Voltaire, 1771.)