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Téone se leva : son air et son langage
Ne connurent jamais les soins étudiés ;
Les Grecs, en la voyant, se sentaient égayés.
Téone, souriant, conta son aventure
En vers moins allongés, et d’une autre mesure,
Qui courent avec grâce, et vont à quatre pieds.
Comme en fit Hamilton[1], comme en fait la nature.


TÉONE.

Vous connaissez tous Agathon ;
Il est plus charmant que Nirée ;
À peine d’un naissant coton
Sa ronde joue était parée.
Sa voix est tendre : il a le ton
Comme les yeux de Cythérée,
Vous savez de quel vermillon
Sa blancheur vive est colorée ;
La chevelure d’Apollon
N’est pas si longue et si dorée.
Je le pris pour mon compagnon
Aussitôt que je fus nubile.
Ce n’est pas sa beauté fragile
Dont mon cœur fut le plus épris :
S’il a les grâces de Pâris,
Mon amant a le bras d’Achille,
Un soir, dans un petit bateau,
Tout auprès d’une île Cyclade,
Ma tante et moi goûtions sur l’eau
Le plaisir de la promenade,
Quand de Lydie un gros vaisseau
Vint nous aborder à la rade.
Le vieux capitaine écumeur
Venait souvent dans cette plage
Chercher des filles de mon âge
Pour les plaisirs du gouverneur.
En moi je ne sais quoi le frappe ;
Il me trouve un air assez beau :
Il laisse ma tante, il me happe ;
Il m’enlève comme un moineau,

  1. Voyez, dans les Œuvres d’Antoine Hamilton, le début du conte intitulé le Bélier.