Du temple au lit d’hymen un jeune époux conduit[1]
Payait au sacristain pour sa première nuit.
Un testateur[2] mourant sans léguer à saint Pierre,
Ne pouvait obtenir l’honneur du cimetière.
Enfin tout un royaume, interdit et damné[3],
Au premier occupant restait abandonné
Quand, du pape et de Dieu s’attirant la colère,
Le roi, sans payer Rome, épousait sa commère[4].
Rois ! qui brisa les fers dont vous étiez chargés ?
Qui put vous affranchir de vos vieux préjugés ?
Quelle main, favorable à vos grandeurs suprêmes,
A du triple bandeau vengé cent diadèmes ?
Qui, du fond de son puits tirant la Vérité,
A su donner une âme au public hébété[5] ?
- ↑ Jusqu’au xvie siècle, il n’était pas permis, chez les catholiques, à un nouveau marié de coucher avec sa femme sans avoir fait bénir le lit nuptial, et cette bénédiction était taxée. (Note de Voltaire, 1773.)
- ↑ Quiconque ne faisait pas un legs à l’Église par son testament était déclaré déconfez, on lui refusait la sépulture ; et, par accommodement, l’official, ou le curé, ou le prieur le plus voisin, faisait un testament au nom du mort, et léguait pour lui à l’Église en conscience ce que le testateur aurait dû raisonnablement donner. (Id., 1773.)
- ↑ Le commun des lecteurs ignore la manière dont on interdisait un royaume. On croit que celui qui se disait le père commun des chrétiens se bornait à priver une nation de toutes les fonctions du christianisme, afin qu’elle méritât sa grâce en se révoltant contre le souverain ; mais on observait dans cette sentence des cérémonies qui doivent passer à la postérité. D’abord on défendait à tout laïque d’entendre la messe, et on n’en célébrait plus au maître-autel. On déclarait l’air impur ; on ôtait tous les corps saints de leurs châsses, et on les étendait par terre dans l’église, couverts d’un voile : on dépendait les cloches, et on les enterrait dans des caveaux. Quiconque mourait dans le temps de l’interdit était jeté à la voirie. Il était défendu de manger de la chair, de se raser, de se saluer ; enfin le royaume appartenait de droit au premier occupant ; mais le pape prenait le soin d’annoncer ce droit par une bulle particulière, dans laquelle il désignait le prince qu’il gratifiait de la couronne vacante. (Id., 1771.) — Cette note avait déjà été mise par Voltaire à son Cri des nations, en 1769. (B.)
- ↑ Robert, roi de France, épousa sa cousine, veuve d’Eudes, comte de Chartres et de Blois ; il avait tenu sur les fonts de baptême un des enfants de cette princesse. (B.)
- ↑ Au lieu de ce vers et des trois qui suivent, on lisait d’abord :
Qui vous rendit chez vous puissants sans être impies ?
Qui sut, de votre table écartant les harpies,
Sauver le peuple et vous de leur voracité ?
Qui sut donner une âme au public hébété ?
Voltaire n’eut d’autre motif pour faire ce changement que d’éviter une répétition : il est question des harpies dans les quatre derniers vers de l’épître à d’Alembert, qui suit. (B.)