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Tu guérirais plutôt les vapeurs de ma rate.
Va, cesse de vexer les vivants et les morts ;
Tyran de ma pensée, assassin de mon corps,
Tu peux bien empêcher tes malades de vivre,
Tu peux les tuer tous, mais non pas un bon livre.
Tu les brûles, Jérôme ; et de ces condamnés
La flamme, en m’éclairant, noircit ton vilain nez[1].
Mais voilà, me dis-tu, des phrases malsonnantes,
Sentant son philosophe, au vrai même tendantes.
Eh bien, réfute-les ; n’est-ce pas ton métier ?
Ne peux-tu comme moi barbouiller du papier ?
Le public à profit met toutes nos querelles ;
De nos cailloux frottés il sort des étincelles :
La lumière en peut naître ; et nos grands érudits
Ne nous ont éclairés qu’en étant contredits.
Sifflez-moi librement, je vous le rends, mes frères.
Sans le droit d’examen, et sans les adversaires,
Tout languit comme à Rome, où depuis huit cents ans[2]
Le tranquille esclavage écrasa les talents.
Tu ne veux pas, grand roi, dans ta juste indulgence,
Que cette liberté dégénère en licence ;
Et c’est aussi le vœu de tous les gens sensés :
À conserver les mœurs ils sont intéressés ;
D’un écrivain pervers ils font toujours justice.
Tous ces libelles vains dictés par l’Avarice,
Enfants de l’Impudence, élevés chez Marteau[3],
Y trouvent en naissant un éternel tombeau[4].

  1. Il s’agit ici de Van-Swieten, premier médecin de l’impératrice reine. Il s’était fait inquisiteur des livres, et passait pour entendre aussi parfaitement la médecine préservatrice des âmes qu’il entendait mal la médecine curative des corps. Il s’occupait surtout d’empêcher les œuvres de M. de Voltaire de pénétrer dans la ville impériale. C’était d’ailleurs un homme assez savant, et dont les compilations peuvent être utiles, quoiqu’il n’eût aucune philosophie ni aucune connaissance des découvertes physiques faites de nos jours. (K.)
  2. On ne voit pas en effet depuis ce temps un seul livre, écrit à Rome, qui soit un ouvrage de génie, et qui entre dans la bibliothèque des nations. Les Dante, les Pétrarque, les Boccace, les Machiavel, les Guichardin, les Boiardo, les Tasse, les Arioste, ne furent, point Romains. (Note de Voltaire, 1771.)
  3. Célèbre imprimeur de sottises. Tous les libelles contre Louis XIV étaient imprimés à Cologne chez Pierre Marteau. (Id., 1771.)
  4. S’il faut en croire la Correspondance de Grimm (t. VII, page 437), quelque temps après la publication de sa pièce, Voltaire ajouta les huit vers que voici :
    La voix des gens de bien nous suffit pour confondre
    Du fantasque Maillet le système hypocondre :