Nous ne les aimons plus ; notre goût s’est usé :
Boileau, craint de son siècle, au nôtre est méprisé.
Le tragique étonné de sa métamorphose,
Fatigué de rimer, va ne pleurer qu’en prose.
De Molière oublié le sel s’est affadi.
En vain, pour ranimer le Parnasse engourdi,
Du peintre des Saisons[1] la main féconde et pure
Des plus brillantes fleurs a paré la nature ;
Vainement, de Virgile élégant traducteur,
Delille a quelquefois égalé son auteur[2] :
D’un siècle dégoûté la démence imbécile
Préfère les remparts et Waux-hall à Virgile.
On verrait Cicéron sifflé dans le Palais.
Le léger vaudeville et les petits couplets
Maintiennent notre gloire à l’Opéra-Comique ;
Tout le reste est passé, le sublime est gothique.
N’expose point ta muse à ce peuple inconstant,
Les Frérons te loueraient pour quelque argent comptant ;
Mais tu serais peu lu, malgré tout ton génie,
Des gens qu’on nomme ici la bonne compagnie.
Pour réussir en France il faut prendre son temps.
Tu seras bien reçu de quelques grands savants,
Qui pensent qu’à Pékin tout monarque est athée[3],
Et que la compagnie autrefois tant vantée,
En disant à la Chine un éternel adieu,
Vous a permis à tous de renoncer à Dieu.
Mais, sans approfondir ce qu’un Chinois doit croire,
Séguier[4] t’affublerait d’un beau réquisitoire ;
La cour pourrait te faire un fort mauvais parti,
Et blâmer, par arrêt, tes vers et ton Changti.
- ↑ M. de Saint-Lambert, mestre de camp, auteur du charmant poëme des Saisons. (Note de Voltaire, 1771.)
- ↑ M. Delille, auteur d’une traduction des Géorgiques, très-estimée des gens de lettres. (Id., 1771.)
- ↑ Une faction dans Paris a soutenu pendant trente ans que le gouvernement de la Chine est athée. L’empereur de la Chine, qui ne sait rien des sottises de Paris, a bien confondu cette horrible impertinence dans son poëme, où il parle de la divinité avec autant de sentiment que de respect. (Id. 1771.)
- ↑ Avocat général qui a fait trop d’honneur au livre du Système de la Nature, livre d’un déclamateur qui se répète sans cesse, et d’un très-grand ignorant en physique, qui a la sottise de croire aux anguilles de Needham. Il vaut mieux croire en Dieu avec Épictète et Marc-Aurèle. C’est une grande consolation pour la France que ce réquisitoire n’attaque que des livres anglais. (Id., 1771.)