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Palissot contre eux tous puissamment s’évertue[1] :
Que de fiel s’évapore, et que d’encre est perdue !

    qui écrivait dans un goût tout opposé, prit Jean-Jacques sérieusement, et donna un gros mandement, non pas un mandement sur ses fermiers, pour fournir à Jean-Jacques quelques rétributions par la main des diacres, selon les règles de la primitive Église, mais un mandement pour lui dire qu’il était un hérétique, coupable d’expressions malsonnantes, téméraires, offensives des oreilles pieuses, tendantes à insinuer qu’on ne peut être en même temps à Rome et à Pékin, et qu’il y a du vrai dans les premières règles de l’arithmétique.

    Jean-Jacques, de son côté, répondit sérieusement à M. l’archevêque de Paris. Il intitula sa lettre Jean-Jacques à Christophe de Beaumont, comme César écrivait à Cicéron, Cæsar imperator Ciceroni imperatori. Il faut avouer encore que c’était aussi le style des premiers siècles de l’Église. Saint Jérôme, qui n’était qu’un pauvre savant prêtre, retiré à Bethléem pour apprendre l’idiome hébraïque, écrivait ainsi à Jean, évêque de Jérusalem, son ennemi capital.

    Jean-Jacques, dans sa lettre à Christophe, dit, page 2 : « Je devins homme de lettres par mon mépris même pour cet état. » Cela parut fier et grand. On remarqua dans un journal que Jean-Jacques, fils d’un mauvais ouvrier de Genève, nourri de l’hôpital, méprisait le titre d’hommes de lettres, dont l’empereur de la Chine et le roi de Prusse s’honorent. Il ne doute pas dans cette lettre que l’univers entier n’ait sur lui les yeux. Il prie, page 12, l’archevêque de lire son roman d’Héloïse, dans lequel le héros gagne un mal vénérien au b…, et l’héroïne fait un enfant avec le héros avant de se marier à un ivrogne. Après quoi Jean-Jacques parle de Jésus-Christ, de la grâce prévenante, du péché originel, et de la Trinité. Et il conclut par déclarer positivement, page 127, que tous les gouvernements de l’Europe lui devaient élever des statues à frais communs.

    Enfin, après avoir traité à fond avec Christophe tous les points abstrus de la théologie, il finit par faire un petit opéra en prose.

    De son côté, Christophe commence par avertir les fidèles, page 4, que « Jean-Jacques est amateur de lui-même, fier, et même superbe, même enflé d’orgueil, impie, blasphémateur et calomniateur, et, qui pis est, amateur des voluptés plutôt que de Dieu ; enfin, d’un esprit corrompu et perverti dans la foi. »

    On demandera peut-être à la Chine ce que le public de Paris a pensé de ces traits d’éloquence. Il a ri. (Note de Voltaire, 1771.)

  1. M. Palissot est l’auteur de la comédie des Philosophes, dans laquelle on représenta Jean-Jacques marchant à quatre pattes, et des savants volant dans la poche. Il est aussi l’auteur d’un poëme intitulé la Dunciade, d’après la Dunciade de Pope. Ce poëme est rempli de traits contre MM. Marmontel, abbé Coyer, abbé Raynal, abbé Le Blanc, Mailhol, Baculard d’Arnaud, Le Mierre, du Belloy, Sedaine, Dorat, La Morlière, Rochon, Boistel, Taconnet, Poinsinet, du Rosoy, Blin, Colardeau, Bastide, Mouhi, Portelance, Sauvigny, Robbé, Lattaignant, Jonval, Açarq, Bergier ; Mmes Graffigny, Riccoboni, Unci, Curé, etc.

    Ce poëme est en trois chants*. Fréron y est installé chancelier de la Sottise. Sa souveraine le change en âne. Fréron, qui ne peut courir, la prie de vouloir bien lui faire présent d’une paire d’ailes ; elle lui en donne, mais elle les lui ajuste à contre-sens : de sorte que Fréron, quand il veut voler en haut, tombe toujours en bas avec la Sottise, qu’il porte sur son dos. Cette imagination a été regardée comme la meilleure de tout l’ouvrage. On apprend, dans les notes ajoutées à ce poëme par l’auteur, « que Fréron était ci-devant un jésuite chassé du collège pour ses mœurs,