Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui fait bien plus de cas du sang de saint Janvier
Que de la cendre de Virgile.
Ne va point sur le Tibre : il n’est plus de talents,
Plus de héros, plus de grand homme ;
Chez ce peuple de conquérants
Il est un pape, et plus de Rome.

Va plutôt vers ces monts qu’autrefois sépara
Le redoutable fils d’Alcmène,
Qui dompta les lions, sous qui l’hydre expira,
Et qui des dieux jaloux brava toujours la haine.
Tu verras en Espagne un Alcide nouveau[1],
Vainqueur d’une hydre plus fatale,
Des superstitions déchirant le bandeau,
Plongeant dans la nuit du tombeau
De l’Inquisition la puissance infernale.
Dis-lui qu’il est en France un mortel qui l’égale ;
Car tu parles, sans doute, ainsi que le vaisseau
Qui transporta dans la Colchide
Les deux jumeaux divins, Jason, Orphée, Alcide.
Baptisé sous mon nom, tu parles hardiment :
Que ne diras-tu point des énormes sottises
Que mes chers Français ont commises
Sur l’un et sur l’autre élément !

Tu brûles de partir : attends, demeure, arrête ;
Je prétends m’embarquer, attends-moi, je te joins.
Libre de passions, et d’erreurs, et de soins,
J’ai su de mon asile écarter la tempête :
Mais dans mes prés fleuris, dans mes sombres forêts,
Dans l’abondance, et dans la paix,
Mon âme est encore inquiète ;
Des méchants et des sots je suis encor trop près :
Les cris des malheureux percent dans ma retraite.
Enfin le mauvais goût qui domine aujourd’hui
Déshonore trop ma patrie.
Hier on m’apporta, pour combler mon ennui,
Le Tacite de La Blétrie[2].
Je n’y tiens point, je pars, et j’ai trop différé.

  1. M. le comte d’Aranda. (Note de Voltaire, 1768.)
  2. 1768, trois volumes in-12.