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ÉPÎTRE CII.


À MON VAISSEAU[1].


(1768)


Ô vaisseau qui porte mon nom,
Puisses-tu comme moi résister aux orages !
L’empire de Neptune a vu moins de naufrages
Que le Permesse d’Apollon.
Tu vogueras peut-être à ces climats sauvages
Que Jean-Jacque a vantés dans son nouveau jargon.
Va débarquer sur ces rivages
Patouillet, Nonotte, et Fréron ;
À moins qu’aux chantiers de Toulon
Ils ne servent le roi noblement et sans gages.
Mais non, ton sort t’appelle aux dunes d’Albion.
Tu verras, dans les champs qu’arrose la Tamise,
La Liberté superbe auprès du trône assise :
Le chapeau qui la couvre est orné de lauriers :
Et, malgré ses partis, sa fougue, et sa licence,
Elle tient dans ses mains la corne d’abondance
Et les étendards des guerriers.

Sois certain que Paris ne s’informera guère
Si tu vogues vers Smyrne où l’on vit naître Homère,
Ou si ton breton nautonier
Te conduit près de Naple, en ce séjour fertile

  1. Une compagnie de Nantes venait de mettre en mer un beau vaisseau qu’elle a nommé le Voltaire. (Note de Voltaire, 1768.)

    — Cette épître doit être de juin 1768 ; les Mémoires secrets en parlent dès le 12 juillet. On en imprima des fragments dans le Mercure de 1768, tome second de juillet, pages 5-8. Fréron (Année littéraire, 1769, t. IV, p. 259) dit qu’un négociant de Nantes ayant donné à l’un de ses bâtiments le nom de Jean-Jacques, un autre négociant (M. de Montaudoin) appela Voltaire un de ses vaisseaux ; mais il ajoute (t. VI, p. 213) que le Voltaire n’était qu’un petit bâtiment. Piron dit gaiement :

    Si j’avais un vaisseaue nommât Voltaire,
    Sous cet auspice heureux j’en ferais un corsaire.

    Dans le Mercure de septembre 1768, pages 57-59, on trouve des Vers à M. de Voltaire sur le vaisseau qui porte son nom. (B.)