Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bertin, qui dans son roi voit toujours sa patrie,
Prête un bras secourable à ta noble industrie :
Trudaine sait assez que le cultivateur
Des ressorts de l’État est le premier moteur,
Et qu’on ne doit pas moins, pour le soutien du trône,
À la faux de Cérès qu’au sabre de Bellone. »
J’aime assez saint Benoît : il prétendit du moins[1]
Que ses enfants tondus, chargés d’utiles soins,
Méritassent de vivre en guidant la charrue,
En creusant des canaux, en défrichant des bois.
Mais je suis peu content du bonhomme François[2] :
Il crut qu’un vrai chrétien doit gueuser dans la rue,
Et voulut que ses fils, robustes fainéants,
Fissent serment à Dieu de vivre à nos dépens.
Dieu veut que l’on travaille et que l’on s’évertue :
Et le sot mari d’Eve, au paradis d’Éden,
Reçut un ordre exprès d’arranger son jardin[3].
C’est la première loi donnée au premier homme[4],
Avant qu’il eût mangé la moitié de sa pomme.
Mais ne détournons point nos mains et nos regards
Ni des autres emplois, ni surtout des beaux-arts.

    les sciences et les arts. Ils ont beaucoup contribué au progrès que les manufactures et le commerce ont fait en France sous le règne de Louis XV. Le fils était un des hommes de l’Europe les plus instruits des vrais principes et des détails de l’administration des États. (K.)

  1. Benedict ou Benoît voulut que les mains de ses moines cultivassent la terre. Elles ont été employées à d’autres travaux, à donner des éditions des Pères, à les commenter, à copier d’anciens titres, et à en faire. Plusieurs de leurs abbés réguliers sont devenus évêques ; plusieurs ont eu des richesses immenses. (Note de Voltaire, 1771.)
  2. François n’Assise, en instituant les mendiants, fit un mal beaucoup plus grand. Ce fut un impôt exorbitant mis sur le pauvre peuple, qui n’osa refuser son tribut d’aumône à des moines qui disaient la messe et qui confessaient : de sorte qu’encore aujourd’hui, dans les pays catholiques romains, le paysan, après avoir payé le roi, son seigneur, et son curé, est encore forcé de donner le pain de ses enfants à des cordeliers et à des capucins. (Id., 1771.)
  3. Cet ordre exprès, que la Genèse dit avoir été donné de Dieu à l’homme, de cultiver son jardin, fait bien voir quel est le ridicule de dire que l’homme fut condamné au travail. L’Arabe Job est bien plus raisonnable : il dit que l’homme est né pour travailler, comme l’oiseau pour voler. (Id., 1771.)
  4. Cette épître ayant fait beaucoup de bruit, la reine désira la lire ; mais pour ménager la susceptibilité de cette princesse, d’Alembert corrigea ainsi deux vers :
    Et le bon mari d’Ève, au paradis d’Éden…
    Avant qu’il eût goûté de la fatale pomme.
    « Ce qui est bien plat, dit-il ; mais cela est encore trop bon pour Versailles. » (B.)