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ÉPÎTRE XCII.


À MADAME DENIS,
SUR L’AGRICULTURE.


14 mars 1761.


Qu’il est doux d’employer le déclin de son âge
Comme le grand Virgile occupa son printemps !
Du beau lac de Mantoue il aimait le rivage ;
Il cultivait la terre, et chantait ses présents.
Mais bientôt, ennuyé des plaisirs du village,
D’Alexis et d’Aminte il quitta le séjour,
Et, malgré Mævius, il parut à la cour.
C’est la cour qu’on doit fuir, c’est aux champs qu’il faut vivre.
Dieu du jour, dieu des vers, j’ai ton exemple à suivre.
Tu gardas les troupeaux, mais c’étaient ceux d’un roi ;
Je n’aime les moutons que quand ils sont à moi.
L’arbre qu’on a planté rit plus à notre vue
Que le parc de Versaille et sa vaste étendue.
Le Normand Fontenelle, au milieu de Paris[1],
Prêta des agréments au chalumeau champêtre ;
Mais il vantait des soins qu’il craignait de connaître,
Et de ses faux bergers il fit de beaux esprits.
Je veux que le cœur parle, ou que l’auteur se taise ;
Ne célébrons jamais que ce que nous aimons.
En fait de sentiment l’art n’a rien qui nous plaise :
Ou chantez vos plaisirs, ou quittez vos chansons ;

  1. Théocrite et Virgile étaient à la campagne, ou en venaient, quand ils firent des églogues. Ils chantèrent les moissons qu’ils avaient fait naître, et les troupeaux qu’ils avaient conduits. Cela donnait à leurs bergers un air de vérité qu’ils ne peuvent guère avoir dans les rues de Paris. Aussi les églogues de Fontenelle furent des madrigaux galants. (Note de Voltaire, 1771.)

    — M. de Voltaire a donné à Fontenelle l’épithète de Normand dans cette pièce, comme dans l’épître au roi de Prusse : Blaise Pascal a tort. Il a substitué aussi, dans le Temple du Goût, le discret Fontenelle au sage Fontenelle des premières éditions ; c’est que le sage Fontenelle n’avait pas contre les préjugés la haine active de M. de Voltaire ; qu’il le laissa combattre seul, cachant avec soin aux ennemis de la raison le mépris qu’il avait pour eux, et ne s’intéressant point assez à la vérité ou à ses apôtres pour risquer de se brouiller avec les persécuteurs. (K.)