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Maître Abraham va sur lui distillant
L’acide impur qu’il vendait sur la Loire[1] ;
Maître Crevier, dans sa pesante histoire[2]
Qu’on ne lit point, condamne son talent.
Un petit singe[3], à face de Thersite[4],

    À ce vainqueur des Anglais et des belles,
    Qui ne trouva ni rivaux, ni cruelles ;
    Si le bon goût du généreux Choiseuil
    À ses travaux fait un honnête accueil,
    S’il trouve grâce aux yeux de la marquise,
    Du seul mérite en plus d’un genre éprise ;
    S’il satisfait La Vallière et d’Ayen,
    Malheur à lui : la cohorte empestée
    Damne mon homme, et le Journal chrétien
    Secrètement vous le déclare athée.
    S’il répond peu, c’est qu’il est accablé ;
    Si, méprisant l’Envie et ses trompettes,
    Il vit en paix dans ses belles retraites,
    S’il y sert Dieu, c’est qu’il est exilé.
    — La marquise est Mme  de Pompadour. (B.)

  1. Le traducteur a substitué la Loire à la Tamise. (Note de Voltaire, 1764.)
  2. Histoire des empereurs, jusqu’à Constantin.
  3. Ce petit singe, etc., était Omer Joly de Fleury, qui, dans le chant XVI de la Pucelle, est appelé :
    Ce pédant sec, à face de Thersite.
    Voyez tome IX, page 262.
  4. Variante :
    Un petit singe, à phrases compassées,
    Au sourcil noir, au long et noir habit,
    Plus noir encore et de cœur et d’esprit,
    Vomit sur lui ses fureurs empestées ;
    Mais, grâce au ciel, il est un roi puissant
    Qui d’un coup d’œil protège l’innocent,
    Et d’un coup d’œil démasque l’hypocrite ;
    Il hait la fraude, il hait les imposteurs ;
    Des factions il connaît les auteurs.
    Tremblez, méchants, qui trompez sa justice ;
    Craignez l’Histoire, elle est votre supplice ;
    Craignez sa main : cette main, qui des rois
    A sur l’airain consacré les exploits,
    Y gravera vos infâmes cabales,
    Vos sourds complots, vos ténébreux scandales ;
    L’Hypocrisie au perfide souris,
    Le Fanatisme étincelant de rage,
    Le fade Orgueil peignant son plat visage
    Du fard brillant de l’amour du pays,
    Tout paraîtra dans son jour véritable.
    On vous verra l’horreur et le mépris
    D’un peuple entier par vos fourbes surpris.
    Le dieu des vers, ce dieu de la lumière,
    Dont votre oreille ignore les accents,
    Et dont votre œil fuit les rayons perçants ;
    Ce même dieu, finissant sa carrière,
    Daigne écraser et plonger dans la nuit
    L’affreux Python que la fange a produit.
    Mais aujourd’hui, dans leurs grottes obscures,
    Laissons siffler ces couleuvres impures ;