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Ayant en cour présenté son mémoire,
Crève à la fois d’orgueil et de dépit.
Il gratte, il gratte ; il se présente, il dit :
« Je suis l’auteur… » Hélas ! mon pauvre hère,
C’est pour cela que vous n’entrerez pas.
Le malheureux, honteux de sa misère,
S’esquive en hâte, et, murmurant tout bas
De voir en lui les neuf muses bannies,
Du temps passé regrettant les beaux jours,
Il rime encore, et s’étonne toujours
Du peu de cas qu’on fait des grands génies.
Pour l’achever, quelque compilateur,
Froid gazetier, jaloux d’un froid auteur,
Quelque Fréron, dans l’Âne littéraire[1],
Vient l’entamer de sa dent mercenaire ;
À l’aboyeur il reste abandonné,
Comme un esclave aux bêtes condamné.
Voilà son sort ; et puis cherchez à plaire.
Mais c’est bien pis, hélas ! s’il réussit.
L’Envie alors, Euménide implacable,
Chez les vivants harpie insatiable,
Que la mort seule à grand’peine adoucit[2],
L’affreuse Envie, active, impatiente,
Versant le fiel de sa bouche écumante,
Court à Paris, par de longs sifflements,
Dans leurs greniers réveiller ses enfants.
À cette voix, les voilà qui descendent,
Qui dans le monde à grands flots se répandent,
En manteau court, en soutane, en rabat,
En petit-maître, en petit magistrat.
Écoutez-les : « Cette œuvre dramatique
Est dangereuse, et l’auteur hérétique[3]. »

  1. Ici Voltaire désigne l’Année littéraire de Fréron, sous le titre d’un écrit de Lebrun contre Fréron. (B.)
  2. Voltaire a dit, dans sa Henriade, chant VII, vers 148 :
    Triste amante des morts, elle hait les vivants.
  3. Après ce vers,
    Est dangereuse, et l’auteur hérétique,
    on lisait ceux-ci, qui terminaient l’épître :
    Mais s’il compose un ouvrage nouveau
    Qui puisse plaire à Boufflers, à Beauvau,