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Vous cependant, au doux bruit des éloges
Qui vont pleuvant de l’orchestre et des loges,
Marchant en reine, et traînant après vous
Vingt courtisans l’un de l’autre jaloux,
Vous admettez près de votre toilette
Du noble essaim la cohue indiscrète.
L’un dans la main vous glisse un billet doux ;
L’autre à Passy[1] vous propose une fête :
Josse avec vous veut souper tête à tête ;
Candale y soupe, et rit tout haut d’eux tous.
On vous entoure, on vous presse, on vous lasse.
Le pauvre auteur est tapi dans un coin,
Se fait petit, tient à peine une place.
Certain marquis, l’apercevant de loin,
Dit : « Ah ! c’est vous ; bonjour, monsieur Pancrace[2],
Bonjour : vraiment, votre pièce a du bon. »
Pancrace fait révérence profonde,
Bégaye un mot, à quoi nul ne répond,
Puis se retire, et se croit du beau monde.
Un intendant des plaisirs dits menus,
Chez qui les arts sont toujours bienvenus,
Grand connaisseur, et pour vous plein de zèle,
Vous avertit que la pièce nouvelle
Aura l’honneur de paraître à la cour.
Vous arrivez, conduite par l’Amour :
On vous présente à la reine, aux princesses,
Aux vieux seigneurs, qui, dans leurs vieux propos,
Vont regrettant le chant de la Duclos.
Vous recevez compliments et caresses ;
Chacun accourt, chacun dit : « La voilà ! »
De tous les yeux vous êtes remarquée ;
De mille mains on vous verrait claquée
Dans le salon, si le roi n’était là.
Pancrace suit : un gros huissier lui ferme
La porte au nez ; il reste comme un terme,
La bouche ouverte et le front interdit :
Tel que Lefranc, qui, tout brillant de gloire,

  1. Le traducteur a mis Passy, au lieu de Kinsington. (Note de Voltaire, 1764.)
  2. Il paraît, par la lettre à d’Alembert, du 19 mars 1761, que Pancrace désigne Colardeau, dont la tragédie de Caliste avait été jouée le 12 novembre 1760. Mlle Clairon y jouait le rôle de Caliste. (B.)