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Et de Charles le Téméraire.
Devant elle on portait ces piques et ces dards,
On traînait ces canons, ces échelles fatales
Qu’elle-même brisa quand ses mains triomphales
De Genève en danger défendaient les remparts.
Un peuple entier la suit, sa naïve allégresse
Fait à tout l’Apennin répéter ses clameurs ;
Leurs fronts sont couronnés de ces fleurs que la Grèce
Aux champs de Marathon prodiguait aux vainqueurs.
C’est là leur diadème ; ils en font plus de compte
Que d’un cercle à fleurons de marquis et de comte.
Et des larges mortiers à grands bords abattus,
Et de ces mitres d’or aux deux sommets pointus.
On ne voit point ici la grandeur insultante
Portant de l’épaule au côté
Un ruban que la Vanité
A tissu de sa main brillante,
Ni la fortune insolente
Repoussant avec fierté
La prière humble et tremblante
De la triste pauvreté.
On n’y méprise point les travaux nécessaires :
Les états sont égaux, et les hommes sont frères.

Liberté ! liberté ! ton trône est en ces lieux :
La Grèce où tu naquis t’a pour jamais perdue,
Avec ses sages et ses dieux,
Rome, depuis Brutus, ne t’a jamais revue.
Chez vingt peuples polis à peine es-tu connue.
Le Sarmate à cheval t’embrasse avec fureur ;
Mais le bourgeois à pied, rampant dans l’esclavage,
Te regarde, soupire, et meurt dans la douleur.
L’Anglais pour te garder signala son courage :
Mais on prétend qu’à Londre on te vend quelquefois.
Non, je ne le crois point : ce peuple fier et sage
Te paya de son sang, et soutiendra tes droits.
Aux marais du Batave on dit que tu chancelles,
Tu peux te rassurer : la race des Nassaux,
Qui dressa sept autels à tes lois immortelles[1],
Maintiendra de ses mains fidèles

  1. L’union des sept provinces. (Note de Voltaire, 1756.)