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Aux murs du temple de Mémoire ;
Aux sots vous sûtes vous cacher.
Je parus trop chercher la gloire,
Et la gloire vint vous chercher.
Qu’un chêne, l’honneur d’un bocage,
Domine sur mille arbrisseaux,
On respecte ses verts rameaux,
Et l’on danse sous son ombrage ;
Mais que du tapis d’un gazon
Quelque brin d’herbe ou de fougère
S’élève un peu sur l’horizon,
On l’en arrache avec colère.
Je plains le sort de tout auteur,
Que les autres ne plaignent guères ;
Si dans ses travaux littéraires
Il veut goûter quelque douceur,
Que, des beaux esprits serviteur,
Il évite ses chers confrères.
Montaigne, cet auteur charmant,
Tour à tour profond et frivole,
Dans son château paisiblement,
Loin de tout frondeur malévole,
Doutait de tout impunément,
Et se moquait très-librement
Des bavards fourrés de l’école ;
Mais quand son élève Charron,
Plus retenu, plus méthodique,
De sagesse donna leçon,
Il fut près de périr, dit-on,
Par la haine théologique.
Les lieux, le temps, l’occasion,
Font votre gloire ou votre chute :
Hier on aimait votre nom,
Aujourd’hui l’on vous persécute.
La Grèce à l’insensé Pyrrhon
Fait élever une statue :
Socrate prêche la raison,
Et Socrate boit la ciguë.
Heureux qui dans d’obscurs travaux
À soi-même se rend utile !
Il faudrait, pour vivre tranquille,
Des amis, et point de rivaux.