C’est là qu’est mon héros. Venez, si vous l’osez.
Le voilà ce savant que la gloire environne,
Qui préside aux combats, qui commande à Bellone,
Qui du fier Charles Douze égalant le grand cœur,
Le surpasse en prudence, en esprit, en douceur.
C’est lui-même, c’est lui, dont l’âme universelle
Courut de tous les arts la carrière immortelle ;
Lui qui de la nature a vu les profondeurs,
Des charlatans dévots confondit les erreurs ;
Lui qui dans un repas, sans soins et sans affaire,
Passait les ignorants dans l’art heureux de plaire ;
Qui sait tout, qui fait tout, qui s’élance à grands pas
Du Parnasse à l’Olympe, et des jeux aux combats.
Je sais que Charles Douze, et Gustave, et Turenne,
N’ont point bu dans les eaux qu’épanche l’Hippocrène :
Mais enfin ces guerriers, illustres ignorants,
En étant moins polis, n’en étaient pas plus grands.
Mon prince est au-dessus de leur gloire vulgaire :
Quand il n’est point Achille, il sait être un Homère ;
Tour à tour la terreur de l’Autriche et des sots ;
Fertile en grands projets, aussi bien qu’en bons mots ;
En riant à la fois de Genève et de Rome,
Il parle, agit, combat, écrit, règne, en grand homme.
vous qui prodiguez l’esprit et les vertus,
Reposez-vous, mon prince, et ne m’effrayez plus ;
Et, quoique vous sachiez tout penser et tout faire,
Songez que les boulets ne vous respectent guère.
Et qu’un plomb dans un tube entassé par des sots[1]
Peut casser d’un seul coup la tête d’un héros
Lorsque, multipliant son poids par sa vitesse[2],
- ↑ Voiture avait dit :
Que d’une force sans seconde
La mort sait ses traits élancer ;
Et qu’un peu de plomb peut casser
La plus belle tête du monde.
M. de Voltaire a cité lui-même cette pièce dans ses Questions sur l’Encyclopédie, ou Dictionnaire philosophique (au mot Goût). Ainsi l’on a eu grand tort de l’accuser d’avoir été le plagiaire de Voiture. (K.) - ↑ Voltaire, dans sa lettre au président Hénault, du 15 mai 1741, rapporte que Mme du Châtelet voulait absolument qu’il mît :
Lorsque multipliant son carré par sa vitesse,
s’inquiétant peu de la mesure des vers. Elle disait qu’il fallait toujours être de l’avis de Leibnitz, en vers et en prose. (B.)