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ÉPÎTRE LVIII.


À UN MINISTRE D’ÉTAT[1].


SUR L’ENCOURAGEMENT DES ARTS.


(1740)


Toi qui, mêlant toujours l’agréable à l’utile[2],
Des plaisirs aux travaux passes d’un vol agile,
Que j’aime à voir ton goût, par des soins bienfaisants,
Encourager les arts à ta voix renaissants !
Sans accorder jamais d’injuste préférence,
Entre tous ces rivaux tiens toujours la balance.
De Melpomène en pleurs anime les accents ;
De sa riante sœur chéris les agréments ;
Anime le pinceau, le ciseau, l’harmonie,
Et mets un compas d’or dans les mains d’Uranie.
Le véritable esprit sait se plier à tout :
On ne vit qu’à demi quand on n’a qu’un seul goût.
Je plains tout être faible, aveugle en sa manie,
Qui dans un seul objet confina son génie,
Et qui, de son idole adorateur charmé,
Veut immoler le reste au dieu qu’il s’est formé.

  1. Cette épître fut d’abord adressée à M. le comte de Maurepas, ensuite elle reparut sous le titre : À un ministre d’État. M. de Voltaire n’avait pu pardonner à M. de Maurepas de s’être réuni au théatin Boyer pour l’empêcher de succéder, à l’Académie française, au cardinal de Fleury : il crut devoir effacer son nom, conserver l’épître qui renfermait des leçons utiles, et laisser ses lecteurs l’adresser aux ministres qu’ils croiraient la mériter. Suivant M. d’Argental, la principale raison de ce changement était que M. de Maurcpas n’a jamais protégé les lettres, ni les arts, et que les efforts de M. de Voltaire pour le piquer d’honneur sur ce point restèrent inutiles. (K.)
  2. D’après la première édition, on lisait :
    Esprit sage et brillant que le ciel a fait naître
    Et pour plaire aux sujets et pour servir leur maître,
    Que j’aime à voir ton goût, par des soins bienfaisants,
    Encourager les arts à ta voix renaissants !
    Sans accorder jamais d’injuste préférence,
    Entre tous ces rivaux ta main tient la balance ;
    Tel qu’un père éclairé, qui sait de ses enfants
    Discerner, applaudir, employer les talents.
    Je plains, etc.