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Alla, san Germano, Mahomet, Jésus-Christ ! »
On voit un peuple entier fuyant de place en place.
Un guerrier en turban, plein de force et d’audace,
Suivi de musulmans, le cimeterre en main,
Sur des morts entassés se frayant un chemin,
Portant dans le palais le fer avec les flammes,
Égorgeait les maris, mettait à part les femmes.
Cet homme avait marché de Cume à Bénévent,
Sans que le ministère en eût le moindre vent ;
La Mort le devançait, et dans Rome la sainte
Saint Pierre avec saint Paul étaient transis de crainte.
C’était, mes chers amis, le superbe Abdala,
Pour corriger l’Église envoyé par Alla.
Dès qu’il fut au palais, tout fut mis dans les chaînes,
Prince, moines, valets, ministres, capitaines.
Tels que les fils d’Io, l’un à l’autre attachés,
Sont portés dans un char aux plus voisins marchés,
Tels étaient monseigneur et ses référendaires,
Enchaînés par les pieds avec le confesseur,
Qui, toujours se signant et disant ses rosaires,
Leur prêchait la constance, et se mourait de peur.
Quand tout fut garrotté, les vainqueurs partagèrent
Le butin, qu’en trois lots les émirs arrangèrent :
Les hommes, les chevaux, et les châsses des saints.
D’abord on dépouilla les bons Bénéventins :
Les tailleurs ont toujours déguisé la nature ;
Ils sont trop charlatans, l’homme n’est point connu.
L’habit change les mœurs ainsi que la figure :
Pour juger d’un mortel, il faut le voir tout nu.
Du chef des musulmans le duc fut le partage.
Il était, comme on sait, dans la fleur de son âge ;
Il paraissait robuste, on le fit muletier.
Il profita beaucoup dans ce nouveau métier.
Ses muscles, énervés par l’infâme mollesse,
Prirent dans le travail une heureuse vigueur :
Le malheur l’instruisit, il dompta la paresse ;
Son avilissement fit naître sa valeur.
La valeur sans pouvoir est assez inutile ;
C’est un tourment de plus. Déjà paisiblement
Abdala s’établit dans son appartement,
Boit le vin des vaincus, malgré son évangile.
Les dames de la cour, les dames de la ville,