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Je m’éveille à ta voix, je marche à ta clarté[1],
Sur les pas des Vertus et de la Vérité.
Je quitte Melpomène et les jeux du théâtre,
Ces combats, ces lauriers, dont je fus idolâtre ;
De ces triomphes vains mon cœur n’est plus touché.
Que le jaloux Rufus[2], à la terre attaché,
Traîne au bord du tombeau la fureur insensée
D’enfermer dans un vers une fausse pensée ;
Qu’il arme contre moi ses languissantes mains
Des traits qu’il destinait au reste des humains ;
Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle
Élève, en frémissant, une voix imbécile :
Je n’entends point leurs cris, que la haine a formés ;
Je ne vois point leurs pas, dans la fange imprimés.
Le charme tout-puissant de la philosophie
Élève un esprit sage au-dessus de l’envie.
Tranquille au haut des cieux que Newton s’est soumis,
Il ignore en effet s’il a des ennemis :
Je ne les connais plus. Déjà de la carrière
L’auguste Vérité vient m’ouvrir la barrière ;
Déjà ces tourbillons, l’un par l’autre pressés,
Se mouvant sans espace, et sans règle entassés,
Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.
Un jour plus pur me luit ; les mouvements renaissent.
L’espace, qui de Dieu contient l’immensité,
Voit rouler dans son sein l’univers limité,
Cet univers si vaste à notre faible vue,
Et qui n’est qu’un atome, un point dans l’étendue.
Dieu parle, et le chaos se dissipe à sa voix :
Vers un centre commun tout gravite à la fois.
Ce ressort si puissant, l’âme de la nature,
Était enseveli dans une nuit obscure ;
Le compas de Newton, mesurant l’univers,
Lève enfin ce grand voile, et les cieux sont ouverts.
Il déploie à mes yeux, par une main savante,

  1. Variante :
    Disciple de Newton et de la vérité,
    Tu pénètres mes sens des feux de ta clarté ;
    Je renonce aux lauriers que longtemps au théâtre
    Chercha d’un vain plaisir mon esprit idolâtre ;
    De ces triomphes vains, etc.
  2. J.-B. Rousseau ; voyez l’épître xli et ses notes.