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Le projet était grand, mais faible est mon génie :
Aussitôt j’invoquai les dieux de l’harmonie,
Les maîtres qui d’Auguste ont embelli la cour ;
Tous me devaient aider, et chanter à leur tour.
Le cœur les fit parler, leur muse est naturelle ;
Vous les connaissez tous, ils sont vos favoris ;
Des auteurs à jamais ils sont l’heureux modèle.
Excepté de vos beaux esprits,
Et de Bernard de Fontenelle.
J’eus l’art de les toucher, car je parlais de vous ;
À votre nom divin je les vis tous paraître.
Virgile le premier, mon idole et mon maître,
Virgile s’avança d’un air égal et doux ;
Les échos répondaient à sa muse champêtre.
L’air, la terre et les cieux en étaient embellis ;
Tandis que ce pasteur, assis au pied d’un hêtre,
Embrassait Corydon et caressait Philis,
On voyait près de lui, mais non pas sur sa trace,
Cet adroit courtisan et délicat Horace,
Mêlant au dieu du vin l’une et l’autre Vénus,
D’un ton plus libertin caresser avec grâce
Et Glycère et Ligurinus.
Celui qui fut puni de sa coquetterie,
Le maître en l’art d’aimer[1], qui rien ne nous apprit,
Prodiguait à Corinne avec galanterie
Beaucoup d’amour et trop d’esprit.
Tibulle, caressé dans les bras de Délie,
Par des vers enchanteurs exhalait ses plaisirs ;
Et Catulle vantait, plus tendre en ses désirs,
Dans son style emporté, les baisers de Lesbie,
Vous parûtes alors, adorable Émilie :
Je vis soudain sur vous tous les yeux se tourner ;
Votre aspect enlaidit les belles,
Et de leurs amants enchantés
Vous fîtes autant d’infidèles.
Je pensais qu’à l’instant ils allaient m’inspirer ;
Mais, jaloux de vous plaire et de vous célébrer,
Ils ont bien rabaissé ma téméraire audace.
Je vois qu’il n’appartient qu’aux maîtres du Parnasse
De vous offrir des vers, et de chanter pour vous ;

  1. Ovide, auteur de l’Art d’aimer.