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ÉPÎTRE XLI.


À MADAME LA MARQUISE DU CHÂTELET,
SUR LA CALOMNIE.


(1733[1])


Écoutez-moi, respectable Emilie :
Vous êtes belle ; ainsi donc la moitié
Du genre humain sera votre ennemie :
Vous possédez un sublime génie ;
On vous craindra : votre tendre amitié
Est confiante, et vous serez trahie.
Votre vertu, dans sa démarche unie,
Simple et sans fard, n’a point sacrifié
À nos dévots ; craignez la calomnie.
Attendez-vous, s’il vous plaît, dans la vie,
Aux traits malins que tout fat à la cour.
Par passe-temps, souffre et rend tour à tour.
La Médisance est la fille immortelle
De l’Amour-propre et de l’Oisiveté.
Ce monstre ailé paraît mâle et femelle,
Toujours parlant, et toujours écouté.
Amusement et fléau de ce monde,
Elle y préside, et sa vertu féconde
Du plus stupide échauffe les propos ;
Rebut du sage, elle est l’esprit des sots.
En ricanant, cette maigre furie
Va de sa langue épandre les venins
Sur tous états ; mais trois sortes d’humains,
Plus que le reste, aliments de l’envie,
Sont exposés à sa dent de harpie :
Les beaux esprits, les belles, et les grands,

  1. Cette épître est de 1733, mais elle a été imprimée, pour la première fois, en 1736 ; elle est à la suite de la Mort de César, dans une édition de Hollande de cette année. Dans sa lettre à l’abbé du Resnel, du 21 juillet 1734, Voltaire se plaint d’une malheureuse copie qui lui avait été envoyée de Paris. C’est au tome IV de l’édition des Œuvres, 1738-39, que cette épître se trouve. (B.)