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ÉPÎTRE IX.


À MADAME DE GONDRIN,[1]
SUR LE PÉRIL QU’ELLE AVAIT COURU EN TRAVERSANT LA LOIRE.
(1716)


Savez-vous, gentille douairière,
Ce que dans Sully l’on faisait
Lorsqu’Éole vous conduisait
D’une si terrible manière ?
Le malin Périgny riait,
Et pour vous déjà préparait
Une épitaphe familière,
Disant qu’on vous repêcherait
Incessamment dans la rivière,
Et qu’alors il observerait
Ce que votre humeur un peu fière
Sans ce hasard lui cacherait.
Cependant L’Espar, La Vallière,
Guiche, Sully, tout soupirait ;
Roussy parlait peu, mais jurait;
Et l’abbé Courtin, qui pleurait
En voyant votre heure dernière,
Adressait à Dieu sa prière,
Et pour vous tout bas murmurait
Quelque oraison de son bréviaire,
Qu’alors, contre son ordinaire,
Dévotement il fredonnait,
Dont à peine il se souvenait,
Et que même il n’entendait guère.
Chacun déjà vous regrettait.
Mais quel spectacle j’envisage !
Les Amours qui, de tous côtés,

  1. Marie-Victoire-Sophie de Noailles, née le 6 mai 1688, avait été mariée, le 25 janvier 1707, à Louis de Pardaillan, marquis de Gondrin. Le 2 février 1723, elle épousa Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse. (B.)