Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La paix tranquille, et la constance altière,
Au front d’airain, à la démarche fière,
À qui jamais ni les rois ni les dieux,
La foudre en main, n’ont fait baisser les yeux.
Divinités des sages adorées,
Que chez les grands vous êtes ignorées !
Le fol amour, l’orgueil présomptueux,
Des vains plaisirs l’essaim tumultueux,
Troupe volage à l’erreur consacrée,
De leurs palais vous défendent l’entrée.
Mais la retraite a pour vous des appas :
Dans nos malheurs vous nous tendez les bras ;
Des passions la troupe confondue
À votre aspect disparaît éperdue.
Par vous, heureux au milieu des revers,
Le philosophe est libre dans les fers.
Ainsi Fouquet, dont Thémis fut le guide,
Du vrai mérite appui ferme et solide,
Tant regretté, tant pleuré des neuf sœurs,
Le grand Fouquet, au comble des malheurs,
Frappé des coups d’une main rigoureuse,
Fut plus content dans sa demeure affreuse,
Environné de sa seule vertu,
Que quand jadis, de splendeur revêtu,
D’adulateurs une cour importune
Venait en foule adorer sa fortune.
Suis donc, abbé, ce héros malheureux ;
Mais ne va pas, tristement vertueux,
Sous le beau nom de la philosophie,
Sacrifier à la mélancolie,
Et par chagrin, plus que par fermeté,
T’accoutumer à la calamité.
Ne passons point les bornes raisonnables.
Dans tes beaux jours, quand les dieux favorables
Prenaient plaisir à combler tes souhaits,
Nous t’avons vu, méritant leurs bienfaits,
Voluptueux avec délicatesse,
Dans tes plaisirs respecter la sagesse.
Par les destins aujourd’hui maltraité,
Dans ta sagesse aime la volupté.
D’un esprit sain, d’un coeur toujours tranquille,
Attends qu’un jour, de ton noir domicile