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J’ai vu les Ris, tristes et consternés,
Jeter les fleurs dont ils étaient ornés ;
Les yeux en pleurs, et soupirant leurs peines,
Ils suivaient tous le chemin de Vincennes,
Et, regardant ce château malheureux,
Aux beaux esprits, hélas ! si dangereux,
Redemandaient au destin en colère
Le tendre abbé qui leur servait de père.
N’imite point leur sombre désespoir ;
Et, puisque enfin tu ne peux plus revoir
Le prince aimable à qui tu plais, qui t’aime,
Ose aujourd’hui te suffire à toi-même.
On ne vit pas au donjon comme ici :
Le destin change, il faut changer aussi.
Au sel attique, au riant badinage.
Il faut mêler la force et le courage ;
À son état mesurant ses désirs,
Selon les temps se faire des plaisirs,
Et suivre enfin, conduit par la nature.
Tantôt Socrate, et tantôt Épicure.
Tel dans son art un pilote assuré,
Maître des flots dont il est entouré,
Sous un ciel pur où brillent les étoiles,
Au vent propice abandonne ses voiles,
Et, quand la mer a soulevé ses flots,
Dans la tempête il trouve le repos :
D’une ancre sûre il fend la molle arène,
Trompe des vents l’impétueuse haleine ;
Et, du trident bravant les rudes coups,
Tranquille et fier, rit des dieux en courroux.
Tu peux, abbé, du sort jadis propice
Par ta vertu corriger l’injustice ;
Tu peux changer ce donjon détesté
En un palais par Minerve habité.
Le froid ennui, la sombre inquiétude,
Monstres affreux, nés dans la solitude,
De ta prison vont bientôt s’exiler.
Vois dans tes bras de toutes parts voler
L’oubli des maux, le sommeil désirable ;
L’indifférence, au cœur inaltérable,
Qui, dédaignant les outrages du sort,
Voit d’un même œil et la vie et la mort ;