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i84 LES CABALES. [iî»!

— Mais, oui. — De la nature as-tu lu le Système. Par SCS propos diffus n'es-tu pas foudroyé? Que dis-tu de ce livre? — Il m'a fort ennuyé i.

— C'en est assez, ingrat : ta perfide insolence Dans mon premier concile aura sa récompense. Va, sot adorateur d'un fantôme impuissant-, Nous t'avions jusqu'ici préservé du néant; Nous t'y ferons rentrer, ainsi que ce grand Être Que tu prends bassement pour ton unique maître. De mes amis, de moi, tu seras méprisé.

— Soit. — Nous insulterons à ton génie usé,

— J'y consens. — Des fatras de brochures sans nombre Dans ta bière à grands flots vont tomber sur ton ombre'.

��1. Il y a des morceaux éloquents dans ce livre; mais il faut avouer qu'il est diffus et quelquefois dcclamateur; qu'il se contredit; qu'il affirme trop souvent ce qui est en question, et surtout qu'il est fondé sur de prétendues expériences dont la fausseté et le ridicule sont aujourd'hui reconnus, et siffles de tout le monde. Tenons-nous-cu à ce dernier article, qui est le plus palpable de tous. C'est cette fameuse transnmtation qu'un pauvre jésuite anglais, nommé Needham,crut avoir faite, de jus de mouton et de blé pourri, en petites anguilles, lesquelles produi- saient bientôt une race innombrable d'anguilles. Nous en avons parlé ailleurs.

On disait au jésuite Needham que cela n'était bon que du temps d'Aristote, de Gamaliel, de Flavien Josèphe, et de Pliilon, où l'on croyait que la génération s'opérait par la corruption, et que le limon d'Egypte formait des rats. 11 répondit que notre Sauveur lui-même et ses apôtres avaient dit plusieurs fois qu'il faut que le blé pourrisse et meure pour lever et pour produire, et que par conséquent son blé pourri et son jus de mouton faisaient naître des races d'anguilles infaillible- ment. On avait beau lui répliquer que Jésus-Christ daignait se conformer aux idées fausses et grossières des paysans galiléens, ainsi qu'il daignait se vêtir à leur mode, parler leur langage, et observer tous leurs rites ; mais que la sagesse incar- née devait bien savoir que rien ne peut naître sans germe; que son système était aussi dangereux qu'extravagant; que si on pouvait former des anguilles avec du jus de mouton, on ne manquerait pas de former des hommes avec du jus de per- drix; qu'alors on croirait pouvoir se passer de Dieu, et que les athées s'empare- raient de la place. Needham n'en démordait point; et, aussi mauvais raisonneur que mauvais chimiste, il persista longtemps à se croire créateur d'anguilles; de sorte que, par une étrange bizarrerie, un jésuite se servait des propres paroles de Jésus- Christ pour établir son opinion ridicule, et les athées se servaient de l'ignorance et de l'opiniâtreté d'un jésuite pour se confirmer dans l'athéisme. Ou citait partout la découverte de Needham. Un des plus intrépides athées m'assurait que dans la ména- gerie du prince Cliarles â Bruxelles, il y avait un lapin qui faisait tous les mois des enfants à une poule. Enfin l'expérience du jésuite fut reconnue pour ce qu'elle était; et les athées furent obligés de se pourvoir ailleurs. {Noie de M. de Morza, 1772.)

2. Variante :

Va, sois adorateur d'un fantoino impuissant.

3. L'édition de laquelle j'ai extrait les variantes contient ce vers, qui ne rime pas avec celui qui le précède :

Vont pleuvoir sur ta tête, cnlii] pour to confondre. (B.)

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