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[c8! LES SYSTÈMES. 473

Nos docteurs, qui voyaient avec quelle indulgence Dieu daignait compatir à tant d'extravagance, Étalèrent bientôt cent belles visions \ De leur esprit pointu nobles inventions; Ils parlaient, disputaient, et criaient tous ensemble. Ainsi, lorsqu'à dîner un amateur rassemble - Quinze ou vingt raisonneurs, auteurs, commentateurs, Rimeurs, compilateurs, chansonneurs, traducteurs, La maison retentit des cris de la cohue ; Les passants ébahis s'arrêtent dans la rue.

D'un air persuadé, Malebranchc assura Qu'il faut parler au Verbe, et qu'il nous répondra '.

Arnauld dit que de Dieu la bonté souveraine

1. Variante :

Kclalèrcnt bientût en belles visions.

2. Variante :

Une vieille rassemble

Quinze à vingt beaux esprits, faméliques auteurs.

L'édition qui fournit cette variante est celle dont j'ai déjà parié; et on y lit en note :

« L'auteur désavoue l'application que la malignité des Parisiens a faite do ce vers à une dame très-respectable et très-connuo, et qui reçoit chez elle des savants estimables, et non pas des chansonniers. {Xote de réditeiir.) »

C'était à M""= Geoffrin qu'on avait appliqué le vers. (B.)

3. Par quelle fatalité le système de Malebranclie paraît-il retomber dans celui de Spinosa, comme deux vagues qui semblent se combattre dans une tempête, et le moment d'après s'unissent l'une dans l'autre?

(( Dieu, dit Malebranchc, est le lieu des esprits, de même que l'espace est le lieu des corps. Notre âme ne peut se donner d'idées... Nos idées sont efficaces, puis- qu'elles agissent sur notre esprit. Or rien ne peut agir sur notre esprit que Dieu... Donc il est nécessaire que nos idées se trouvent dans la substance efficace de la Divinité.» (Livre UI, de V Esprit pur, part, ii.)

Voilà les propres paroles de Malebranclie. Or si nous ne pouvons avoir des perceptions que dans Dieu, nous ne pouvons donc avoir de sentiment que dans lui, ni faire aucune action que dans lui ; cela me paraît évident. On peut donc en inférer que nous ne sommes que des modifications de lui-même. 11 n'y a donc dans l'uni- vers qu'une seule substance. Voilà le spinosisme, le stratonisme tout pur. Et Malebranclie pousse les illusions qu'il se fait à lui-même jusqu'à vouloir autoriser son système par des passages de saint Paul et de saint Augustin.

Je ne dis pas que ce savant prêtre de l'Oratoire fût spinosiste, à Dieu ne plaise ! ie dis qu'il servait d'un plat dont un spinosiste aurait mange très-volontiers. On sait que depuis il s'entretint familièrement avec le Verbe. Eh ! pourquoi avec le Verbe plutôt qu'avec le Saint-Esprit? Mais comme il n'y avait personne en tiers dans la conversation, nous ne rendrons point compte de ce qui s'est dit ; nous nous contentons de plaindre l'esprit humain, de gémir sur nous-mêmes, et d'exhorter nos pauvres confrères les hommes à l'indulgence. {Note de M, de Morza, 1772.)

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