Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/157

Cette page n’a pas encore été corrigée

[124] LE MARSEILLOIS ET LE LION. 147

Ni saisir de ses dents ton espèce craintive :

Je lui dois la pûture ; il faut que chacun vive.

Eh ! pourquoi sortais-tu d'un terrain fortuné,

D'olives, de citrons, de pampres couronné?

Pourquoi quitter ta femme et ce pays si rare

Où tu fêtais en paix Madeleine et Lazare ^ ?

Dominé par le gain, tu viens dans mon canton

Vendre, acheter, troquer, être dupe et fripon ;

Et tu veux qu'en jeûnant ma famille pâtisse

De ta sotte imprudence et de ton avarice ?

Réponds-moi donc, maraud. — Sire, je suis battu.

Vos griffes et vos dents m'ont assez confondu.

Ma tremblante raison cède en tout à la vôtre.

Oui, la moitié du monde a toujours mangé l'autre :

Ainsi Dieu le voulut; et c'est pour notre bien.

Mais, sire, on voit souvent un malheureux chrétien.

Pour de l'argent comptant, qu'aux hommes on préfère,

Se racheter d'un Turc, et payer un corsaire.

Je comptais à Tunis passer deux mois au plus ;

1. Ce lion paraît fort instruit, et c'est encore une preuve de l'intelligence des bêtes. La Sainte-Baume, où se retira sainte Marie-Madeleine, est fort connue; mais peu do gens savent à fond cette histoire. La Fleur des Saints peut en donner quelques notions; il faut lire son article, tome II de la Fleur des Saints, depuis la page 50. Ce fut Marie-Madeleine à qui deux anges parlèrent sur le Calvaire, et à qui notre Seigneur parut en jardinier. Ribadeneira, le savant auteur de la Fleur des Saints, dit expressément que si cela n'est pas dans l'Évangile, la chose n'en est pas moins indubitable. Elle demeura, dit-il, dans Jérusalem auprès de la vierge Marie, avec son frère Lazare, que Jésus avait ressuscité, et Marthe sa sœur, qui avait préparé le repas lorsque Jésus avait soupe dans leur maison.

L'aveugle-né, nommé Celedono, à qui Jésus donna la vue en frottant ses yeux avec un peu de boue, et Joseph d'Arimathie, étaient de la société intime de Made- leine. Mais le plus considérable de ses amis fut le docteur saint Maximin, Tun des soixante et dix disciples.

Dans la première persécution qui fit lapider saint Etienne, les Juifs se saisirent de Marie-Madeleine, de Marthe, de leur servante Marcelle, de Maximin leur direc- teur, de l'aveugle-né, et de Joseph d'Arimathie. On les embarqua dans un vaisseau sans voiles, sans rames, et sans mariniers; le vaisseau aborda à Marseille, comme l'atteste Baronius. Dès que Madeleine fut à terre, elle convertit toute la Provence. Le Lazare fut évêque de Marseille, Maximin eut l'évêché d'Aix; Joseph d'Arimathie alla prêcher l'Évangile en Angleterre; Marthe fonda un grand couvent; Madeleine se retira dans la Sainte-Baume, où elle brouta l'herbe toute sa vie. Ce fut là que, n'ayant plus d'habits, elle pria toujours toute nue; mais ses cheveux crûrent jusqu'à ses talons, et les anges venaient la peigner et l'enlever au ciel sept fois par jour, en lui donnant de la musique. On a gardé longtemps une fiole remplie de son sang, et ses cheveux; et tous les ans, le jour du vendredi saint, cette fiole a bouilli à vue d'œil. La liste de ses miracles avérés est innombrable. {Note de Voltaire, 1768.)

�� �