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Ii2 LE MARSEILLOIS ET LE LION.

Fit parler et pleurer les deux chevaux d'Achille '. Les habitants des airs, des forêts et des champs, Aux humains chez Ésope enseignent le ])on sens. Descartes n'en eut point quand il les crut machines- : 11 raisonna beaucoup sur les œuvres divines; Il en jugea fort mal, et noya sa raison Dans ses trois éléments, au coin d'un tourbillon. Le pauvre homme ignora, dans sa physique obscure. Et l'homme, et l'animal, et toute la nature. Ce romancier hardi dupa longtemps les sots : Laissons là sa folie, et suivons nos propos.

Un jour un Marseillois, trafiquant en Afrique, Aborda le rivage où fut jadis L tique. Comme il se promenait dans le fond d'un vallon, Il trouva nez à nez un énorme lion, A la longue crinière, à la gueule enflammée, Terrible, et tout semblable au lion de Némée, Le plus horrible effroi saisit le voyageur : Il n'était pas Hercule; et, tout transi de peur, Il se mit à genoux, et demanda la vie.

Le monarque des bois, d'une voix radoucie. Mais qui faisait encor trembler le Provençal, Lui dit en bon français : « Ridicule animal. Tu veux donc qu'aujourd'hui de souper je me passe? Écoute, j'ai dîné : je veux te faire grâce. Si tu peux me prouver qu'il est contre les lois Que le soir un lion soupe d'un Marseillois. »

Le marchand à ces mots conçut quelque espérance.

��1. La remarque de M"'^ Dacier sur cet endroit d'Homère est également impor- tante et judicieuse. Elle appuie beaucoup sur la sage conduite d'Homère; elle fait voir que les chevaux d'Achille, Xante et Balie, fils de Podarge, sont d'une race immortelle, et qu'ayant déjà pleuré la mort de Patrocle, il n'est point du tout étonnant qu'ils tiennent un long discours à Achille, Enfin elle cite l'exemple de l'ânossc de Balaam, auquel il n'y a rien à i-épliquer. {Note de Voltaire, 1768.)

2, Descartob était certainement un grand géomètre et un homme de beaucoup d'esprit; mais toutes les nations savantes avouent qu'il abandonna la géométrie, qui devait être son guide, et qu'il abusa de son esprit pour ne faire que des romans. L'idée que les animaux ont tous les organes du sentiment pour ne point sentir est une contradiction ridicule. Ses tourbillons, ses trois éléments, son sj-stème sur la lumière, son explication des ressorts du corps humain, ses idées innées, sont regardés par tous les philosophes comme des chimères absurdes. On convient que dans toute sa physique il n'y a pas une vérité physique. Ce grand exemple apprend aux hommes qu'on ne trouve ces vérités que dans les mathématiqvics et dans l'ex- périence. (Id., 1708.)

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