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JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

Non, cet homme ne s’appartient pas ; il est conduit par une force supérieure. En même temps qu’il renverse d’une main il fonde de l’autre ; et là est la merveille de sa destinée. Il emploie toutes ses facultés railleuses à renverser les barrières des Églises particulières ; mais il y a chez lui un autre homme ; plein de ferveur, celui-ci établit sur les ruines l’orthodoxie du sens commun.

Il sent de toutes ses fibres le faux, le mensonge, l’injustice, non pas seulement dans un moment du temps, mais dans chacune des pulsations du genre humain.... Voltaire fait du droit chrétien le droit commun de l’humanité.... Voltaire enveloppe la terre entière dans le droit de l’Évangile.

... Où a-t-il appris à se sentir contemporain de tous les siècles, à être blessé jusque dans le plus intime de son être par telle violence individuelle commise il y a quinze cents ans ? Que signifie cette protestation universelle de chaque jour contre la force ? cette indignation que ni l’éloignement de l’espace, ni les siècles des siècles ne peuvent calmer ? Que veut ce vieillard, qui n’a que le souffle, et qui se fait le concitoyen, l’avocat, le journaliste de toutes les sociétés présentes et passées ?

..... Quel est cet étrange instinct qui pousse cet homme à être partout sensible et présent dans le passé ? D’où vient cette charité nouvelle qui traverse les temps et l’espace ?

Qu’est-ce que cela, je vous prie, si ce n’est l’esprit chrétien lui-même, l’esprit universel de solidarité, de fraternité, de vigilance, qui vit, sent, souffre, et reste dans une étroite communion avec toute l’humanité présente et passée ? Voilà pourquoi la terre a proclamé cet homme comme la parole vivante de l’humanité dans le xviiie siècle. On ne s’est pas trompé sur les apparences ; il déchirait la lettre ; il faisait éclater l’esprit universel. Voilà pourquoi nous le proclamons encore.

..... Quelques personnes se sont écriées avec joie : Voltaire a disparu ; il a péri dans le gouffre avec toute sa renommée. Mais c’était là un des artifices de la gloire véritable, les médiocres seuls en sont la dupe. La poussière retombe, l’esprit de lumière que l’on croyait éteint reparaît ; il rit de la fausse joie des ténèbres. Comme un ressuscité, il brille d’un plus pur éclat, et le siècle, qui avait commencé par le renier du bout des lèvres, s’achève en le confirmant dans tout ce qu’il a d’immortel. (Les Jésuites, l’Ultramontanisme.)

Voltaire est celui qui souffre, celui qui a pris pour lui toutes les douleurs des hommes, qui ressent, poursuit toute iniquité. Tout ce que le fanatisme et la tyrannie ont jamais fait de mal au monde, c’est à Voltaire qu’ils l’ont fait. Martyr, victime universelle, c’est lui qu’on égorgea à la Saint-Barthélemy, lui qu’on brûla à Séville, lui que le parlement de Toulouse roua avec Calas... Il pleure, il rit, dans les souffrances, rire terrible, auquel s’écroulent les bastilles des tyrans, les temples des pharisiens.....