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DE VOLTAIRE.

Ce cortége a suivi les boulevards depuis l’emplacement de la Bastille, et s’est arrêté vis-à-vis l’Opéra[1]. Le buste de Voltaire ornait le frontispice du bâtiment ; des festons et des guirlandes de fleurs entouraient des médaillons sur lesquels on lisait : Pandore, le Temple de la Gloire, Samson. Après que les acteurs eurent couronné la statue et chanté un hymne^ on se remit en route, et on suivit les boulevards jusqu’à la place Louis XV, le quai de la Conférence, le Pont-Royal, le quai Voltaire.

Devant la maison de M. Charles Villette, dans laquelle est déposé le cœur de Voltaire, on avait planté quatre peupliers très-élevés, lesquels étaient réunis par des guirlandes de feuilles de chêne, qui formaient une voûte de verdure, au milieu de laquelle il y avait une couronne de roses que l’on a descendue sur le char au moment de son passage. On lisait sur le devant de cette maison :

Son esprit est partout, et son cœur est ici.

Mme Villette a posé une couronne sur la statue d’or. On voyait couler des yeux de cette aimable dame des larmes qui lui étaient arrachées par le souvenir que lui rappelait cette cérémonie. On avait élevé devant cette maison un amphithéâtre, qui était rempli de jeunes demoiselles vêtues de blanc, une guirlande de roses sur la tête, avec une ceinture bleue, et une couronne civique à la main. On chanta devant cette maison, au son d’une musique exécutée en partie par des instruments antiques, des strophes d’une ode de MM. Chénier et Gossec. Mme Villette et la famille Calas ont pris rang à ce moment ; plusieurs autres dames vêtues de blanc, de ceintures et rubans aux trois couleurs, précédaient le char.

On a fait une autre station devant le Théâtre de la Nation[2]. Les colonnes de cet édifice étaient décorées de guirlandes de fleurs naturelles. Une riche draperie cachait les entrées ; sur le fronton on lisait cette inscription : Il fit Irène à 83 ans. Sur chacune des colonnes était le titre d’une des pièces de théâtre de Voltaire, renfermées dans trente-deux médaillons. On avait placé un de ses bustes devant l’ancien emplacement de la Comédie française, rue des Fossés-Saint-Germain ; il était couronné par deux génies, et on avait mis au bas cette inscription : À 17 ans il fit Œdipe. On exécuta devant le Théâtre de la Nation un chœur de l’opéra de Samson. Après cette station, le cortége s’est remis en marche, et est arrivé au Panthéon à dix heures. Le cercueil y a été déposé ; mais il sera incessamment transféré dans l’église Sainte-Geneviève, et sera placé auprès de ceux de Mirabeau et de Descartes.

  1. L’Opéra était alors au théâtre de la porte Saint-Martin.
  2. C’était le titre que portait alors le théâtre appelé aujourd’hui Odéon. Le 9 avril 1782, les comédiens français en avaient fait l’ouverture sous le titre de Théâtre-Français ; en 1789, ils prirent celui de Théâtre de la Nation, en conservant toutefois celui de comédiens ordinaires du roi. En 1791, une partie de ces acteurs passa au Théâtre des Variétés, qui prit alors le titre de Théâtre-Français de la rue de Richelieu : c’est ce théâtre qu’occupe aujourd’hui la Comédie française.