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JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

Entre les notions absolues et les notions relatives, ce qui est décisif, c’est la démonstration toujours impossible dans les premières, à côté de la démonstration toujours présente dans les autres.

Ce caractère, respectivement propre aux notions positives et aux notions absolues, a été saisi et signalé par Voltaire dans son admirable conte de Micromégas... (Conservation, Révolution et Positivisme.)

Qu’est-ce en effet que Voltaire ? Le bon sens un peu superficiel ; or, à ce degré, le bon sens mène toujours au doute. Voilà comment la philosophie habituelle de Voltaire consiste à n’épouser aucun système, et à se moquer un peu de tous ; c’est le scepticisme sous sa livrée la plus brillante et la plus légère.

Avant que Voltaire connût l’Angleterre et Locke, il n’était pas Voltaire, et le xviiie siècle se cherchait encore... Voltaire reçut ses premières impressions de la société de Ninon et de la tradition affaiblie de la minorité sceptique du xviie siècle. Il ne fut d’abord qu’un bel esprit frondeur. Pour convertir son humeur malicieuse en une opposition systématique et lui inspirer la passion infatigable, l’unité, le sérieux même sous le voile de la plaisanterie, qui firent de Voltaire un chef d’école, il fallut qu’il rencontrât dans un pays voisin... un grand parti en possession de toute une doctrine.

... En arrivant en Angleterre, Voltaire n’était qu’un poëte mécontent ; l’Angleterre nous le rendit philosophe, ami de l’humanité, soldat déclaré d’une grande cause ; elle lui donna une direction déterminée et un fonds d’idées sérieuses en tout genre, capable de défrayer une longue vie d’écrits solides et aussi d’épigrammes.

... Voltaire a répandu, popularisé la philosophie de Locke. Il n’a, par lui-même, trouvé aucun principe ni même aucun argument nouveau, général ou particulier. Ce serait prendre trop au sérieux ce charmant esprit, ce prince des gens de lettres, que d’en faire un métaphysicien, encore bien moins un métaphysicien original.

Voltaire, nous l’avons dit, c’est le bon sens superficiel. Il n’avait guère étudié la philosophie. Incapable de longues réflexions, un instinct heureux le portait d’abord du côté du vrai. Toutes les extrémités résignaient à sa raison. Il avait un sentiment trop vif de la réalité pour se payer d’hypothèses, et trop de goût pour s’accommoder d’une doctrine qui eût le moins du monde l’apparence pédantesque. Il ne lui fallait pas même de bien hautes conceptions, des spéculations très-profondes... Tout ce qui dépasse un certain point que peut atteindre d’une première vue un esprit prompt et juste le surpassa. Son bon sens incline au doute. Le doute devient-il à son tour dogmatique, il l’abandonne ; il ne s’engage pas ; il craint le chimérique, et, par-dessus tout, le ridicule. Ajoutez à ces dispositions une âme naturellement amie du bien, quoique la passion et cette malheureuse vanité d’homme de lettres l’égarent souvent.