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HISTOIRE POSTHUME

M. Jordan, qui était en relations avec M. de Saint-Hyacinthe, était un homme de lettres qui avait une place à la cour de Prusse ; il est connu par plusieurs ouvrages, et entre autres par l’Histoire de M. de La Croze.

M. de Saint-Hyacinthe m’écrivit une autre lettre, dans laquelle il répète à peu près ce qu’il m’avait déjà mandé ; elle est du 10 octobre 1745, la voici :

« C’est Voltaire qui a mal disposé le roi de Prusse à mon égard. Il arriva justement que ce poëte alla en Prusse lorsque mes Recherches y arrivèrent ; et le silence du roi, qui ne m’a pas seulement fait dire qu’il les avait reçues, est un effet de l’amitié de ce prince pour ce poëte : aussi je ne les lui aurais pas dédiées si je n’avais cru, sur ce qu’on m’avait écrit, que leur amitié était rompue : bien persuadé que qui est ami de Voltaire n’est pas propre à l’être de Saint-Hyacinthe. »

Ce fut la dernière lettre que je reçus de lui ; il mourut peu de temps après l’avoir écrite.

La haine avait produit chez lui son effet ordinaire, un jugement très-injuste de son adversaire.

Lorsqu’il fut question de nommer M. de Voltaire à l’Académie française, tout le monde applaudit à un choix si convenable. M. de Saint-Hyacinthe fut le seul qui le désapprouva. Il m’écrivait de Saint-Jorry, le 17 février 1743 : « À l’égard de Voltaire, l’Académie sora bien honorée de recevoir dans le nombre des quarante un homme sans mœurs, sans principes, qui ne sait pas sa langue, à moins qu’il ne l’ait étudiée depuis quelques années, et qui n’a de talent que celui que donne une imagination vive, avec le talent de s’approprier tout ce qu’il peut trouver de bon chez les autres, avec quoi il fait des ouvrages pleins de pensées belles ou de traits brillants, qui ne sont pas de lui, et qui sont liés sans justesse, et mal assortis à ce qui est de lui. »

Comme je m’étais conduit dans le cours de cette étrange dispute avec candeur et honnêteté, M. de Voltaire ne se plaignit jamais de moi, quoiqu’il ne put ignorer mon intime liaison avec M. de Saint-Hyacinthe.

J’avais connu M. de Voltaire dans sa jeunesse ; je l’avais souvent vu chez M. de Pouilly mon frère, pour qui il avait beaucoup d’estime. J’ai vu de ses lettres, où il assurait que M. de Pouilly raisonnait aussi profondément que Bayle, et écrivait aussi éloquemment que Bossuet.