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HISTOIRE POSTHUME

Cette édition du Mathanasius, augmentée de l’Apothéose, ne fit pas grande sensation à Paris, où elle n’avait pas été imprimée ; mais l’abbé Desfontaines ayant fait imprimer, dans sa Voltairomanie, l’extrait qui regardait M. de Voltaire, on recommença à parler beaucoup de sa triste aventure, qui était presque oubliée.

L’abbé Desfontaines avait été assez lié avec M. de Voltaire, qui lui avait donné plusieurs fois des preuves d’amitié ; mais ils s’étaient depuis brouillés, et s’insultaient publiquement. L’abbé Desfontaines, pour se venger des discours injurieux de M. de Voltaire, composa contre lui un libelle auquel il donna le titre de Voltairomanie, dans lequel M. de Saint-Hyacinthe était cité, comme nous l’avons dit.

Je me souviens que cet écrit n’était pas encore public, lorsque le marquis de Locmaria se proposa de donner un grand dîner à divers gens de lettres qui ne s’aimaient pas ; il y avait entre autres l’abbé Desfontaines, l’abbé Prévost, Marivaux, M. de Mairan. Il m’invita à ce repas, en me disant : « Je suis curieux de voir comment mon dîner finira. »

Je me rendis chez le marquis, où je trouvai une grande assemblée ; l’abbé Desfontaines nous proposa, avant le dîner, d’entendre une lecture qui, disait-il, nous ferait grand plaisir. On agréa sa demande ; il nous lut la Voltairomanie, qui, loin de nous faire plaisir, fut regardée comme un libelle très-grossier ; lui seul s’applaudissant, après avoir fini sa lecture, dit ces propres paroles, avec le ton brutal que la nature lui avait donné et que l’éducation n’avait pas corrigé : « Voltaire n’a plus d’autre parti à prendre que de s’aller pendre. »

M. de Voltaire ayant appris à Cirey, où il demeurait, que la Voltairomanie était publique dans Paris, écrivit au comte d’Argenson, qui était pour lors à la tête de la librairie, pour se plaindre de ce qu’on laissait imprimer à Paris d’aussi infâmes libelles que la Voltairomanie, que l’abbé Desfontaines avait rempli de calomnies, et dont l’auteur méritait une punition exemplaire.

M. d’Argenson envoya chercher cet écrivain, qui nia d’abord que l’ouvrage fût de lui ; mais ayant été convaincu de mensonge, il eut assez d’effronterie pour assurer qu’il n’y avait pour lui d’autre moyen de vivre que le style caustique et mordant dont il était dans l’usage de se servir ; sur quoi le comte lui répondit qu’il ne voyait pas de nécessité qu’il vécût.

M. de Voltaire s’étant imaginé que M. de Saint-Hyacinthe avait travaillé, conjointement avec l’abbé Desfontaines, à la Voltairomanie, en fut très irrité. Il savait que je vivais avec lui dans la plus grande union, ce qui l’engagea à m’écrira la lettre que voici :

« J’ai bien des grâces à vous rendre, etc.[1]. »

  1. Voyez tome III de la Correspondance, page 147.