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HISTOIRE POSTHUME

Je crois devoir d’abord vous faire connaître M. de Saint-Hyacinthe. Il était entré fort jeune dans le régiment Royal ; ayant été fait prisonnier à la bataille d’Hochstet, il fut mené en Hollande, où, ayant fait connaissance avec plusieurs gens d’esprit, il prit la résolution de renoncer à la profession militaire pour s’appliquer entièrement aux belles-lettres et à la philosophie.

C’était précisément dans le temps qu’il y avait à Paris une dispute très-animée sur la comparaison des anciens avec les modernes. Les partisans de l’antiquité prêtaient au ridicule par leur exagération en faveur de ceux à qui ils donnaient la préférence, et par le peu de justice qu’ils rendaient aux bons écrivains de notre siècle. Cette partialité fut l’occasion du livre intitulé le Chef-d’œuvre d’un Inconnu, par Mathanasius[1], que M. de Saint-Hyacinthe fit imprimer en Hollande. Ce joli ouvrage eut le plus grand succès : Paris en fut enthousiasmé pendant quelque temps, et on le lisait avec d’autant plus de plaisir qu’outre que les commentateurs passionnés des anciens y étaient tournés dans le plus grand ridicule, par l’imitation parfaite que l’auteur avait faite de leur méthode dans l’explication des écrivains de l’antiquité, on y trouvait quelques traits assez plaisants qui avaient rapport aux jésuites et à la bulle Unigenitus, qui causait pour lors les plus grandes disputes, et qui souffrait beaucoup de contradiction.

Ce fut dans ce moment que M. de Saint-Hyacinthe quitta la Hollande pour venir à Paris : il y fut accueilli de la manière la plus agréable ; les gens d’esprit étaient empressés de voir un homme qui leur avait procuré beaucoup de plaisir.

Son ouvrage était entre les mains de tout le monde : on en avait retenu divers traits, qu’on se plaisait à répéter. Il fit connaissance avec M. de Voltaire, qui commençait déjà cette carrière brillante dont il n’y a point d’exemple dans notre histoire littéraire. On représentait alors Œdipe, où tout Paris accourait. Je me souviens que M. de Saint-Hyacinthe, se trouvant à une de ces nombreuses représentations près de l’auteur, lui dit, en lui montrant la multitude des spectateurs : « Voilà un éloge bien complet de votre tragédie ; » à quoi M. de Voltaire répondit très-honnêtement : « Votre suffrage, monsieur, me flatte plus que celui de toute cette assemblée. »

  1. La première édition est de 1714, un vol. in-12. P.-X. Leschevin a donné une neuvième édition, Paris, 1807, deux volumes petit in-8o.