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JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

DEUXIÈME ÉPOQUE

Un esprit supérieur fut constamment, chez cet homme célèbre, aux ordres d’une passion violente et opiniâtre, sa haine désespérée contre le christianisme...

Voltaire est depuis longtemps, parmi nous, un signe de contradiction...

Et ceux qui se donnent pour ses plus zélés partisans admirent ce talent, précisément à cause de cet abus, qu’ils regardent comme un usage utile et glorieux de la supériorité du génie.

Si cet homme célèbre se fût abstenu de parier des vérités qu’il n’a cessé d’attaquer, et que, satisfait de la gloire d’embellir son siècle par ses écrits poétiques, il n’eût pas ambitionné le dangereux honneur de le convertir à ses opinions philosophiques, ses talents auraient trouvé des admirateurs et n’auraient point fait d’enthousiastes.

... Il s’aperçut de bonne heure que, pour plaire à la multitude... il s’agissait moins, comme il le disait lui-même, de frapper juste que de frapper fort, et surtout de frapper souvent, moins d’éclairer que d’éblouir ; car il calculait, cet homme habile, il calculait ses succès comme sa fortune ; et même toute sa vie, il a mis dans sa conduite littéraire, ainsi que dans le soin de ses affaires domestiques, plus d’art et de combinaison qu’il n’appartient peut-être au génie...

Il jugea donc, sans trop de peine, qu’il fallait étonner les esprits superficiels par l’universalité des talents, subjuguer les esprits faibles par l’audace et la nouveauté des opinions, occuper les esprits distraits par la continuité des succès. Sa longue carrière fut employée à suivre ce plan avec une merveilleuse persévérance. Tout y servit, jusqu’aux boutades de son humeur et à la fougue de son imagination...

Ainsi Voltaire commenta à la fois la philosophie de Newton et le chant d’amour du Cantique des cantiques. Il fit un poëme épique et des poëmes bouffons, des tragédies bien pathétiques et des poésies légères bien licencieuses, de grandes histoires et de petits romans. Il voulut être philosophe et même théologien...

Voltaire subjugua les esprits faibles par l’audace jusque-là inouïe de ses opinions, et il imposa à sa nation et à l’Europe par le mépris qu’il afficha pour tout ce qu’elles avaient jusqu’alors mis au premier rang de leurs croyances et de leurs institutions... Cette hardiesse passait pour de la force d’esprit et de caractère, et on lui en faisait honneur dans le monde ; tandis que l’auteur, épouvanté lui-même de son audace, et plus timide qu’il ne convenait à un chef de secte, tantôt anonyme, tantôt pseudonyme, tremblant d’être reconnu..., confiait ses terreurs à ses anges gardiens de Paris, leur recommandait de désavouer en son nom ses écrits..., et communiait en public pour faire croire à sa catholicité.