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DE VOLTAIRE.

Je vous remercie beaucoup d’avoir bien voulu me mettre à portée de détruire cette plate histoire, et je suis fort aise qu’elle m’ait procuré un témoignage de votre souvenir, ainsi que l’occasion de vous assurer de la profonde estime avec laquelle j’ai l’honneur, etc.

L’abbé Mignot.


P. S. Il me prend envie de vous envoyer la profession de M. de Voltaire, d’après laquelle monsieur l’archevêque de Paris et votre révérendissime évêque voulaient que la sépulture lui fût refusée.


XIV.


LETTRE DE CATHERINE II


AU BARON GRIMM[1].


À Tsarskoé-Sélo, ce 21 juin 1778.

Hélas, je n’ai que faire de vous détailler les regrets que j’ai sentis à la lecture de votre n° 19. Jusque-là, j’espérais que la nouvelle de la mort de Voltaire était fausse, mais vous m’en avez donné la certitude, et tout de suite je me suis senti un mouvement de découragement universel et d’un très-grand mépris pour toutes les choses de ce monde. Le mois de mai m’a été très-fatal : j’ai perdu deux hommes que je n’ai jamais vus, qui m’aimaient et que j’honorais. Voltaire et milord Chatham ; longtemps, longtemps, et peut-être jamais, surtout le premier, ne seront-ils remplacés par des égaux, et jamais par des supérieurs, et pour moi ils sont irréparablement perdus ; je voudrais crier. Mais est-il possible qu’on honore et déshonore, qu’on raisonne et déraisonne aussi supérieurement quelque part que là où vous êtes[2] ? On a honoré publiquement, il y a peu de semaines, un homme qu’aujourd’hui on n’ose y enterrer, et quel homme ! le premier de la nation, et dont ils ont à se glorifier bien et dûment. Pourquoi ne vous êtes-vous point emparé, vous, de son corps, et cela en mon nom ? Vous auriez dû me l’envoyer, et, morgue, vous avez manqué de tête pour la première fois de votre vie en ce moment ; je vous promets bien qu’il aurait eu la tombe la plus précieuse possible ; mais si je n’ai point son corps, au moins ne manquera-t-il point de monument chez moi. Quand je viendrai en ville cet automne, je rassemblerai les lettres que ce grand homme m’a écrites et je vous les enverrai. J’en ai un grand nombre ; mais s’il est possible, faites l’achat de sa bibliothèque et de tout ce qui reste de ses papiers, inclusivement mes lettres. Pour moi, volontiers, je payerai largement ses héritiers qui, je pense, ne connaissent le prix de rien de tout cela.

  1. Correspondance publiée par la Société impériale de l’Histoire de Russie ; Saint-Péterbourg, 1878.
  2. À Paris.